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volonté, qui, ou les font disparaître, ou les perfectionnent au point de les rendre méconnaissables. Là où manquent la réflexion et la volonté, ils restent stationnaires, mais alors « c’est moins la perfectibilité qui manque aux êtres instinctifs que la puissance de les perfectionner à l«intelligence obtuse de certaines espèces. » L’auteur, toujours animé du même esprit scientifique, réduit donc autant que faire se peut les mouvements inexplicables par l’expérience acquise. Il ne fait grâce ni à l’instinct d’expression, ni à l’instinct de la marche, pas même à celui de l’équilibre, ni à celui auquel on rapporte « ces clins d’œil rapides qui mettent instantanément le globe oculaire à l’abri d’un danger derrière le voile des paupières. » Il ne met au compte de l’énergie instinctive, que l’action de têter, la déglutition, la succion, l’inspiration, l’expiration, l’excrétion, enfin et surtout le grand acte de la génération.

Voilà, du moins dans l’homme, l’instinct bien restreint au profit de l’habitude et en même temps bien rapproché de celle-ci, puisque les mouvements qu’on lui rapporte non-seulement sont variables et perfectibles comme les actes habituels, mais même peuvent se transformer en ces derniers. Ne pourrait-on pas aller plus loin encore ? La différence capitale que M. Lemoine établit entre l’habitude et l’instinct, c’est, dit-il, dans sa réfutation de l’hypothèse de Lamarck, que l’habitude suppose toujours un premier acte qui lui-même n’est pas habituel, tandis que l’instinct devance toute répétition. Mais n’a-t-il pas été établi au début du livre que ce qui constitue essentiellement l’habitude, c’est la vertu qu’a le premier acte d’en susciter un second et une infinité d’autres ? Si l’habitude est déjà dans le premier acte et que cet acte soit la révélation de l’instinct, où sera la différence de nature, la différence d’essence entre les deux activités ? Nous ne voyons plus pour les distinguer que la possibilité ou l’impossibilité où elles sont de se perfectionner, ce qui dépend uniquement de la souplesse des organes et du degré de l’intelligence. L’instinct et l’habitude plongent donc également leurs racines dans le fonds primordial de spontanéité qui constitue tout être vivant et qui lui-même, soit en vertu d’un rapport d’harmonie et de finalité, soit en conséquence de lois purement physiques, est en corrélation constante avec l’organisme et ses diverses modifications ou transformations.

Quoi qu’il en soit, ce qui reste acquis à l’expérience, c’est que, dans leurs instincts comme dans leurs habitudes, les individus subissent l’action des années et les espèces celle des siècles ; c’est que les espèces et les individus ont à compter avec les milieux, naturels ou artificiels, qui leur sont faits, et avec lesquels force leur est de s’accommoder sous peine de périr ; c’est que l’hérédité joue un grand rôle, quoique souvent encore fort obscur, dans cette adaptation ; c’est qu’enfin, si vivre c’est agir, agir c’est se développer, c’est-à-dire se déterminer, se différencier dans les limites fixées par la plasticité du moule où l’animal est déjà comme coulé et en majeure partie préformé avant d’être sorti de l’œuf