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contient entre ces deux questions les spéculations physiques et métaphysiques les plus abstraites. On surprendra bien du monde en disant que la partie qui mérite le plus qu’on la lise est celle qui traite de l’eau de goudron. Berkeley apporte une masse de faits tirés de sa propre expérience et de celle d’autrui en faveur des propriétés hygiéniques et curatives de l’eau de goudron, et il n’est pas loin, sans toutefois oser l’affirmer, d’y voir un remède universel. On pourrait voir dans cet engouement une simple illusion du philosophe, si l’on ne savait que l’efficacité qu’il attribue à son remède est en partie réelle, puisque la créosote, un des éléments de l’eau de goudron, s’emploie avec succès comme tonique et pour soulager certaines douleurs, pour ne rien dire des propriétés désinfectantes et autres d’une autre substance qui entre dans l’eau de goudron, l’acide carbonique, dont on a tant parlé dans ces derniers temps. En tous cas c’est une leçon d’un grand prix que de voir produire une masse de faits positifs si grande et si concluante en faveur d’une opinion médicale que l’expérience ultérieure n’a pas confirmée, si ce n’est dans une étendue fort restreinte. Après avoir, à ce qu’il croyait, établi à posteriori les vertus reconstituantes de l’eau de goudron, Berkeley, en philosophe qu’il était, en recherchait la cause, ou le principe général ; mais il cherchait la preuve qu’il peut y avoir une panacée, et que cette panacée c’était l’eau de goudron, dans les doctrines d’une chimie erronée et aujourd’hui ruinée absolument, et par elle dans les théories des anciens philosophes, mélange de physique et de métaphysique. Un des points qu’il s’efforçait de prouver, c’est que le feu est la force vitale ou le principe de vie ; et d’abord à ce qu’il croyait, il déduisait de cette chimie surannée, une relation entre le goudron et l’élément du feu. Mais comme sa philosophie ne permettait pas d’admettre que le feu, ou tout autre objet à l’exception de l’esprit, pût être un agent réel, il s’élève de ce sujet d’humble apparence, aux plus hautes spéculations de ses doctrines. « Ce n’est ni l’acide, ni le sel, ni le soufre, ni l’air, ni l’éther, ni le feu visible et corporel, bien moins le fantôme qu’on appelle destin de nécessité, qui est l’agent réel, mais une certaine analyse, une suite de rapports réguliers ou d’échelle continue nous permet de nous élever à travers tous ces intermédiaires à la contemplation instantanée du premier moteur source invisible, incorporelle, inétendue, intellectuelle de vie et d’existence[1]. » Les anciens philosophes qu’il avait déjà cités à l’appui de sa physique, il les invoque encore pour en tirer le secours qu’il peut en faveur de

  1. Vol. II, p. 479.