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vacherot.antécédents de la philosophie critique

vint dans l’esprit que nous prenions un mauvais chemin, et qu’avant de nous engager dans ces sortes de recherches, il était nécessaire d’examiner notre propre capacité, et de voir quels objets sont à notre portée ou au-dessus de notre compréhension. Je proposai cela à la compagnie, et tous l’approuvèrent aussitôt ; sur quoi l’on convint que ce serait le sujet de nos premières recherches. Il me vint alors quelques pensées indigestes sur cette matière que je n’avais jamais examinée auparavant. Je les jetai sur le papier ; et ces pensées formées à la hâte, que j’écrivis pour les confier à nos amis à notre prochaine entrevue, fournirent la première occasion de traité qui, ayant été commencé par hasard et continué à la sollicitation de ces mêmes personnes, n’a été écrit que par pièces détachées ; car, après l’avoir longtemps négligé, je le repris selon que mon humeur ou l’occasion me le permettaient ; et enfin, pendant une retraite que je fis pour le bien de ma santé, je le mis dans l’état où vous le voyez présentement[1]. »

Quelles étaient ces questions sur lesquelles Locke et ses amis n’avaient pu se mettre d’accord, notre philosophe ne le dit point ; mais il est facile de les deviner, en réfléchissant que ces questions ne devaient pas rentrer dans cette catégorie de connaissances simples et usuelles qui s’obtiennent par l’observation ou se jugent par le sens commun, et sur la vérité desquelles tout le monde tombe d’accord. Évidemment il s’agissait de problèmes dans le genre de ceux dont il parle dans l’introduction qui suit la préface. « Je ne m’engagerai pas à considérer en physicien la nature de l’âme, à voir ce qui en constitue l’essence, quels mouvements doivent s’exciter dans nos esprits animaux, ou quels changements doivent arriver dans notre corps pour produire, au moyen de nos organes, certaines sensations et certaines idées dans notre entendement, et si quelques-unes de ces idées ou toutes ensemble dépendent dans leur principe de la matière ou non, quelque curieuses et instructives que soient ces spéculations, je les éviterai, comme ne pouvant me conduire directement au but que je me propose. Il suffira, pour le dessein que j’ai présentement en vue, d’examiner les facultés de connaître qui se rencontrent dans l’homme, en tant qu’elles s’exercent sur les objets qui se présentent à elles[2]. » Et pour ne laisser aucun doute sur sa pensée, il ajoute : « Je pensai que le premier moyen qu’il y aurait de satisfaire l’esprit de l’homme sur plusieurs recherches dans lesquelles il est fort porté à s’engager, ce serait de prendre, pour ainsi dire, un état des facultés de notre propre entendement, d’en examiner l’é-

  1. Essai sur l’entendement humain. Préface.
  2. Ibid. Introduction, ch. ii.