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vacherot.antécédents de la philosophie critique

mot, avec ses deux sources de connaissance : l’une primitive qui est la sensation, l’autre, la conscience qui a la sensation elle-même pour condition, mais qui, une fois mise en mouvement par elle, engendre d’elle-même tout un ordre d’idées qui lui est propre. C’est à cela que Locke réduit la théorie des facultés proprement dites de l’entendement. Ces facultés fournissent tous les matériaux de la connaissance. Ceux-ci, élaborés et transformés par un certain nombre d’opérations qui se nomment l’attention, la comparaison, le raisonnement, la méthode d’analyse et de synthèse, deviennent les notions, les idées, les conceptions, les principes, les axiomes, les sciences de toute nature qui composent le domaine si riche de l’esprit humain.

Locke vérifie sa théorie par une longue analyse de nos diverses espèces d’idées. En ce qui concerne la classe des idées adventices, autrement dites sensibles, il n’éprouve aucune difficulté à la faire rentrer dans l’origine de la sensation. Les idées factices, dont le caractère propre est d’être des créations de notre esprit sans objet correspondant, s’expliquent tout aussi facilement par telle ou telle opération de l’esprit qu’on appellera l’abstraction, ou l’association des idées. Reste la classe des idées dites innées pour l’analyse et l’explication desquelles notre philosophe a besoin de toute sa sagacité. Il faut lire ces pages où le bon sens de Locke toujours admirable se débat contre des difficultés et des subtilités dont le génie de l’analyse peut seul avoir complètement raison, et qui attendent la critique de Kant pour une solution radicale. Le sens juste et droit de Locke trouve et signale partout la trace de l’expérience sensible ou intime dans ces concepts de temps, d’espace, d’infini, de cause, de substance qui ont fait jusqu’à lui le triomphe de l’idéalisme et le désespoir de l’empirisme. Mais s’il dissipe bien des nuages et fait évanouir bien des entités, il reste impuissant à expliquer les caractères d’universalité, de nécessité, d’infinité dont sont marquées certaines notions, certaines conceptions, certains principes qui ont fait de tout temps remonter les philosophes d’une certaine école à une origine autre que l’expérience. Soit que ces idées soient en effet absolument irréductibles à l’expérience, soit qu’une analyse plus profonde soit nécessaire pour pouvoir opérer cette réduction, il est certain que Locke n’a pas clos le débat sur l’origine de ces idées, ni même sur l’origine des idées en général. Il a fort bien montré que les idées dites rationnelles n’étaient ni des réminiscences d’un autre monde, comme l’a dit Platon dans son poétique langage, ni de véritables intuitions d’une faculté indépendante de l’expérience. Il a fait voir particulièrement, en ce qui concerne le concept de l’infini, que ce concept est moins une idée positive ayant son objet déterminé