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peut être perçue trop tôt ou trop tard, parce qu’il y a trop ou trop peu de temps laissé à l’attention ; de même, la représentation, l’état purement interne, peut être reproduit trop tôt ou trop tard, suivant que la reproduction doit être lente ou rapide.

En résumé, les différences entre la durée de la production et celle de la reproduction, peuvent se ramener aux deux principes qui suivent :

1° Dans la reproduction, le temps nécessaire pour que l’attention passe complétement d’un état à un autre est considérablement augmenté. Lorsqu’il s’agit d’impressions réelles, nous avons vu que ce temps est à peine d’une seconde ; puisque pour deux sons séparés par un intervalle de 1”, le retard est nul. Le passage de l’attention d’un état à l’autre exige donc une durée moindre qu’une seconde. Au contraire, si entre l’impression et sa reproduction on laisse un court intervalle, l’appréciation peut varier jusqu’à plusieurs secondes en plus ou en moins.

2° La différence entre la perception immédiate et la reproduction, croît avec l’intervalle de temps qui sépare les états internes entre eux, et avec l’intervalle du temps écoulé entre l’impression et le moment de la reproduction[1].


III.


Les expériences qui précèdent ne se laissent, quant à présent, ramener à aucune loi. Le plus qu’on puisse faire, c’est d’en résumer brièvement les résultats généraux :

1° Le fait de conscience a, comme tout autre phénomène, une durée précise, variable et mesurable. Sans doute, il était universellement admis, surtout depuis Kant, que les phénomènes internes ont pour caractère distinctif de se passer dans le temps ; mais cette formule vague permettait encore de laisser la pensée dans une sorte de région mystique, où elle paraissait inaccessible à la mesure.

2° Le fait de conscience n’a pas une durée absolue. Cette durée varie suivant les conditions intérieures (nature et ordre des excita-

  1. Lorsque nous comparons ensemble deux intervalles de temps et que le second diffère du premier (est plus long ou plus court), il arrive nécessairement qu’au moment de la comparaison, le premier intervalle ne nous est donné que sous la forme d’un souvenir ; par conséquent il est sujet à cette erreur d’appréciation inhérent aux états de conscience reproduits. Divers expérimentateurs, Mach, Vierordt, Hœring, ont montré que l’aperception de cette différence de durée varie entre un maximum et un minimum ; mais les nombres qui résultent de leurs expériences sont loin de s’accorder.