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périodiques.La Filosofia delle scuole Italiane

la réalité qu’elle nous dévoile on trouvera celle-ci composée de deux ordres : les phénomènes et les noumènes. Or comme c’est la conscience qui saisit directement les noumènes en tant que faits intimes, on voit l’importance que cette philosophie est amenée à accorder à la psychologie : n’est-ce pas encore ce qui est arrivé aux spiritualistes français ? Est-ce un philosophe étranger ou V. Cousin qui a écrit cette phrase : « En nous recueillant dans l’expérience véridique et consommée que nous avons de notre faculté et de notre esprit, nous nous plaisons à répéter que par elle nous découvrons dans une intuition immédiate la substance et l’activité intimes, les substances et les activités extérieures, et la vision éternelle de l’être réel infini avec ses formes intellectives ; lesquelles correspondent aux contingences concrètes qui se manifestent successivement ? » (Juin 1875, page 364). C’est bien là cette métaphysique psychologique, avec la conscience pour organe, ce platonisme expérimental que V. Cousin a institué chez nous.

Le principe étant le même, les applications ne peuvent différer beaucoup. La place de la philosophie parmi les sciences semble être la même pour M. Mamiani que pour V. Cousin. Elle est une science par la certitude qu’elle offre, et même la première de toutes ; mais en même temps elle diffère de toutes les autres en ce qu’elle se passe de la rigueur mathématique. Il est vrai que cette différence ne compromet en rien ses résultats ; puisque les mathématiques elles-mêmes reposent sur des axiomes qualitatifs empruntés à la raison. Mais enfin cette différence est patente, et elle se révèle surtout par ce fait que les mathématiques se servent de concepts simples, exactement définis, les mêmes pour tous et dans toutes les langues, tandis que la métaphysique se sert d’idées complexes sous leur apparente simplicité, sur la définition desquelles on n’est pas d’accord, et que chaque nation, chaque groupe de penseurs traduit en termes différents. Cette différence classe la science ontologique tout à fait à part des autres sciences et la rapproche des lettres. « Les écrivains de cette revue sont persuadés que si pour les sciences mathématiques et expérimentales il n’y a pas de patrie particulière ; et si les vérités qu’elles découvrent deviennent, à peine produites au jour, le patrimoine indivis et éternel de toutes les nations civilisées, il n’en peut être de même des lettres et de la philosophie, deux disciplines qui, là où elles ne germent et ne fructifient point comme plantes indigènes et productions tout à fait spontanées, dans tel terrain particulier ou dans tel autre, sont destinées à végéter péniblement, débiles, maladives et infécondes. » (Octobre 1875, page 190).

Cette conception conduit M. Mamiani comme V. Cousin à celle d’une philosophie nationale. Le patriotisme des Italiens est en effet tellement jeune et vigoureux qu’il regarderait avec ombrage toute philosophie qui ne porterait pas ses couleurs. Le platonisme de l’école italienne ne permet pas à nos voisins de nier un seul instant l’universalité des principes ; mais ils se rejettent sur la particularité des points de vue et l’angle différent des perspectives. La vérité, dira-t-on, est la même pour toutes