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léon dumont.de l’habitude

moyens. Comment serait-il lié à cette idée si ce n’est en vertu d’une habitude ou d’une adaptation acquise ? Nous avons appris par expérience que l’acte A produit l’événement B qui est suivi de l’événement final, résultat ou but C. Les idées de A, de B, de C, sont donc associées dans l’esprit. Or nous avons déjà eu l’occasion de dire que sous l’influence de l’habitude, toute idée intermédiaire entre deux termes d’une série pouvait disparaître en laissant subsister un pouvoir de suggestivité réciproque entre les termes extrêmes devenus coexistants d’une manière constante. Il en résulte que l’idée de l’acte A peut suggérer l’idée du but C et qu’en sens inverse l’idée du but C peut également suggérer l’idée de l’acte A. C’est là le premier élément de la volonté.

Voici le second : en vertu d’autres habitudes, un acte peut être causé par la représentation ou l’idée qu’on en a. Il suffit, par exemple, d’avoir l’idée du bâillement, éveillée par la vue de gens qui bâillent, pour éprouver nous-mêmes le besoin de bâiller. L’habitude de nous percevoir nous-mêmes marchant, nous levant, ou nous arrêtant chaque fois que nous exécutons l’acte de marcher, de nous lever ou de nous arrêter, a établi un rapport qui peut, comme tous les autres, se renverser au point de vue de la suggestion, de manière à produire l’excitation de l’acte par la seule représentation qui en est éveillée dans l’esprit ; il suffit, par conséquent, d’avoir l’idée de marcher, de nous lever, de nous arrêter pour qu’en vertu d’une adaptation entre les faits cérébraux et les mouvements musculaires, nous nous mettions à marcher, à nous lever, à nous arrêter.

Combinons maintenant ce second élément de la volonté avec le premier : l’idée du but C éveille l’idée de l’acte A ; l’idée de l’acte A, si elle a une force suffisante, devient la cause de l’exécution de l’acte A lui-même ; l’acte A devient le point de départ d’une série d’événements intermédiaires indépendants de nous et dont la réalisation de C est le résultat final. Tout cela dépend d’habitudes : habitudes d’association entre certaines idées liées par des rapports de succession ou de coexistence constantes, et habitudes d’adaptation entre des idées et les actes dont elles sont la représentation. Nous ne pouvons vouloir qu’à la condition de prévoir ; nous ne pouvons prévoir qu’à la condition de savoir et le savoir est une habitude de l’intelligence.

D’après cette manière de voir, la volonté est toujours un fait d’habitude ; ce n’est jamais que l’exercice d’habitudes antérieurement acquises. « Les hommes, dit très-nettement Condillac, ignorent ce qu’ils peuvent, tant que l’expérience ne leur a pas fait remarquer ce qu’ils font d’après la nature seule. C’est pourquoi ils n’ont jamais