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P. JANET. — LES CAUSES FINALES

plus simples et les plus claires qui servent à les exprimer : « Nulle chose n’est, en même temps, et considérée sous le même point de vue, elle-même et son contraire. » — « Nul phénomène sans cause ; nul mode sans substance. » — « Tout corps est dans l’espace ; tout événement a lieu dans le temps. »

La question que nous avons à résoudre est celle-ci : parmi ces vérités premières, ou principes fondamentaux, faut-il compter encore, comme on le fait souvent, un autre principe appelé principe des causes finales ? Y a-t-il un principe des causes finales ? Quel est-il ? Quelle en est la formule ? Fait-il partie de ces principes nécessaires et universels sans lesquels il est impossible de penser ? Ou ne serait-il qu’un cas particulier de l’un d’entre eux ?

Remarquons d’abord que l’on n’est pas bien d’accord sur la formule même de ce que l’on appelle le principe des causes finales. Pour le principe de causalité, nulle difficulté : « Point de phénomène sans cause. » Par analogie, on devra formuler le principe des causes finales de cette manière : « Rien ne se produit sans but ; tout être a une fin[1]. » Ce qu’Aristote exprimait ainsi : « La nature ne fait rien en vain. » Il suffit d’exprimer en ces termes le principe des causes finales pour voir d’abord qu’il n’est pas du même genre que le principe de causalité. Th. Jouffroy, recherchant dans son Cours de droit naturel les vérités sur lesquelles repose l’ordre moral, nous dit : « La première de ces vérités, c’est ce principe que tout être a une fin. Pareil au principe de causalité, il en a toute l’évidence, toute l’universalité, toute la nécessité ; et notre raison ne conçoit pas plus d’exception à l’un qu’à l’autre. » Malgré la haute autorité de Jouffroy, nous sommes obligé d’avouer que le principe énoncé ici, à savoir que « tout être a une fin, » ne nous paraît avoir ni l’évidence, ni la nécessité du principe de causalité, à savoir que « tout ce qui se produit a une cause. » Si on entend par fin un certain effet résultant nécessairement d’une certaine nature donnée, en ce sens tout être a une fin, car tout être produit nécessairement ce qui est conforme à sa nature ; mais si par fin on entend un but pour lequel une chose a été faite, ou vers lequel elle tend, il n’est pas évident par soi-même que la pierre ait un but, que le minéral en ait un. Sans doute, pour celui qui conçoit la nature comme l’œuvre d’une providence, il sera certain que tout a été créé pour un but ; et le caillou lui-même n’aura pas été fait en vain ; mais alors le principe des causes finales n’est plus qu’un corollaire de la

  1. Si on disait : « Tout moyen suppose une fin, » comme on le fait quelquefois, ce serait une pure tautologie.