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plus utile à l’individu et mieux adaptée à l’ensemble de sa constitution. C’est ainsi que Darwin a expliqué l’origine des organes rudimentaires comme des traces d’anciens organes autrefois complets, qui se sont graduellement atrophiés pendant de longues générations d’individus auxquels, par suite d’un changement dans les conditions d’existence, ils avaient cessé d’être utiles.

Le principe de la diminution de causalité relativement aux habitudes acquises va nous servir à faire comprendre pourquoi des facultés, une fois développées, sont si facilement déviées de leurs applications primitives et détournées vers des objets qui offrent seulement une ressemblance ou une analogie plus ou moins lointaine avec l’objet même dont l’influence avait engendré la fonction. Je suppose qu’une habitude ait été formée par la répétition d’excitations provenant d’un objet réunissant les caractères ABCD. À mesure que l’habitude s’est consolidée, la réunion de ces quatre qualités n’a plus été aussi nécessaire pour produire le phénomène ; il a d’abord suffi de BCD, puis de CD, puis enfin de D seulement. Or le caractère représenté par D entre dans la composition d’autres objets que ABCD ; il fait partie, par exemple, de l’objet EDMR, de l’objet DPRS, etc. Tous les objets renfermant D auront désormais la propriété d’exciter la fonction aussi complétement que ABCD le faisait primitivement. Or il peut se faire que D, cette cause d’excitation commune aux différents objets, se réduise à fort peu de chose ; l’habitude sera en ce cas détournée vers des objets tellement peu semblables à l’objet primitif, qu’on a peine à retrouver le fil de la déviation. L’homme exprime ordinairement la résignation à l’égard de souffrances purement morales en haussant légèrement les épaules et en les rapprochant l’une de l’autre, en baissant la tête vers la poitrine, en montrant la paume des mains et en étendant les doigts ; c’est l’ensemble des gestes qu’il a été primitivement déterminé à faire pour se préparer à essuyer un choc matériel ou une attaque qu’il n’était pas en état de repousser ; il se ramassait sur lui-même pour offrir le moins de surface possible et ouvrait les mains pour amortir le coup. Nous nous frottons les yeux lorsque la vue est troublée ; nous sommes amenés ensuite à faire le même geste toutes les fois que nous avons de la peine à comprendre ou à saisir une idée obscure. L’usage d’applaudir en signe de contentement, ne provient-il pas de l’habitude de tendre les bras vers les personnes ou les objets agréables pour les saisir et les retenir ; lorsque l’objet est trop éloigné pour être saisi, les mains se rencontrent naturellement ; le même effort répété plusieurs fois de suite constitue l’applaudissement. Les exemples de ce genre pourraient être indéfiniment multipliés.