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présenter. Nous voulons parler de la suppression des termes intermédiaires devenus inutiles entre les termes extrêmes d’un groupe ou d’une série. On rapporte généralement ce fait à l’habitude, et il est vrai que l’habitude en est une condition. Mais, à vrai dire, c’est plutôt un cas particulier des lois de causalité, de suggestion et de sélection naturelle dans leur application aux habitudes acquises.

Quand deux faits coexistent constamment l’un avec l’autre, on doit les considérer comme résultant de deux manières d’être adaptées réciproquement d’une manière tellement rigoureuse que l’une des deux ne puisse, sous l’influence d’une excitation, éprouver telle modification, sans que l’autre subisse immédiatement une modification correspondante. Mais la coexistence constante ne s’établit pas toujours d’une façon directe ; elle a souvent exigé la participation de faits intermédiaires avant que l’adaptation ait pu devenir suffisante. A et D coexistent constamment et A ne peut avoir lieu sans D, comme D ne peut avoir lieu sans A. Mais il n’en a pas toujours été ainsi ; primitivement A causait B, qui causait C qui enfin causait D. Mais au moyen de la répétition fréquente de cette série d’événements, D a été produit par B et C toutes les fois que A a eu lieu ; il en est résulté une coexistence constante entre A et D, et désormais chacun de ces deux faits peut suggérer l’autre sans l’action intermédiaire de B et de C. Car la communication du mouvement se fait toujours par la route la plus courte et suivant la ligne de moindre résistance. Si la force peut s’écouler de A en D sans passer par BC, la sélection suffit pour la déterminer à le faire ; car il en résulte un avantage et une économie de force dans la lutte entre les pensées.

Un musicien apprend à jouer du piano ; c’est d’abord avec l’aide de son intelligence et de sa volonté (B et C) qu’il établit une adaptation constante entre tel mouvement des muscles d’un doigt (D) et la perception par la vue de telle note écrite (A). Mais une fois l’adaptation produite, le phénomène de la vue (A) suffit pour causer le mouvement du doigt (D) sans avoir besoin de l’intermédiaire de l’intelligence (B) et de la volonté (C).

C’est à cause de cette suppression des faits intermédiaires que nous perdons si facilement de vue le procédé suivant lequel nous avons acquis nos connaissances, et la manière dont se sont formées nos associations d’idées, c’est-à-dire nos habitudes de pensée. Nous pensons généralement des groupes tout faits, des signes convenus, des conclusions, des résultats de raisonnement sans nous retracer, à chaque rapport qui se réveille dans notre intelligence, les termes intermédiaires qui ont primitivement rendu possible l’établissement de ce rapport dans la conscience. C’est grâce à cette simplification