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sécutions des bêtes ne sont qu’une ombre de raisonnement, c’est-à-dire ne sont qu’une connexion d’imaginations et un passage d’une image à l’autre ; ce qui fait que dans une rencontre nouvelle, qui paraît semblable à la précédente, elles s’attendent de nouveau à ce qu’elles y ont trouvé joint autrefois, comme si les choses étaient liées en effet, parce que leurs images le sont dans la mémoire. Il est bien vrai que la raison conseille qu’on s’attende, pour l’ordinaire, à voir arriver à l’avenir ce qui est conforme à une longue expérience du passé ; mais ce n’est pas pour cela une vérité nécessaire et infaillible, et le succès peut cesser quand il s’y attend le moins, lorsque les raisons qui l’ont maintenu changent. Voilà pourquoi les plus sages ne s’y fient pas tant qu’ils ne tâchent de pénétrer, s’il est possible, quelque chose de la raison de ce fait, pour juger quand il faudra faire des exceptions. Car la raison est seule capable d’établir des règles sûres, et de suppléer à ce qui manque à celles qui ne l’étaient point, et enfin de trouver des liaisons certaines dans la force des conséquences nécessaires ; ce qui donne seulement le moyen de prévoir l’événement, sans avoir besoin d’expérimenter les liaisons sensibles des images ; à quoi les bêtes sont réduites. De sorte que ce qui justifie les principes internes des vérités nécessaires, distingue encore l’homme de la bête[1]. »

Voilà comment Leibniz entend les idées innées. Sur les idées de l’infini et de l’absolu, les principales pour leur valeur métaphysique, et les moins réductibles à l’expérience, il s’explique catégoriquement. Locke avait dit : « la puissance qu’a l’esprit d’étendre sans fin son idée de l’espace par de nouvelles additions, étant toujours la même, c’est de là qu’il tire l’idée d’un espace infini[2]. » Leibniz, tout en acceptant cette explication, croit devoir la compléter. La considération de l’infini vient de celle de la similitude et son origine est la même avec celle des vérités universelles et nécessaires. Cela fait voir comment ce qui donne de l’accomplissement à la conception de cette idée se trouve en nous-mêmes, et ne saurait venir des expériences des sens ; tout comme les vérités nécessaires ne sauraient être prouvées par l’induction ni par les sens. L’idée de l’absolu est en nous intérieurement comme celle de l’être. Ces absolus ne sont autre chose que les attributs, et on peut dire qu’ils ne sont pas moins la source des idées que Dieu est lui-même le principe des êtres. L’idée de l’absolu, par rapport à l’espace, n’est autre que celle de l’immensité de Dieu, et ainsi des autres. Mais on se trompe en

  1. Ibid., ibid.
  2. Liv. II, ch. xvii, paragr. 3.