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P. JANET. — LES CAUSES FINALES

où la nature a évidemment un but, il s’est cru autorisé à généraliser cette maxime dont la nature lui avait fourni de si fréquentes vérifications.

La finalité n’est donc pas pour nous un principe premier : c’est une loi de la nature, obtenue par l’observation et par l’induction[1]. De même que les naturalistes admettent des lois générales, qui sont, disent-ils, plutôt des tendances que des lois strictes[2] (car elles sont toujours, plus ou moins mêlées d’exceptions) : loi d’économie, loi de division du travail, loi de connexion, loi de corrélation ; de même il y a une loi de finalité, qui paraît embrasser toutes les lois précédentes, une tendance à la finalité, tendance évidente dans les êtres organisés, et que nous supposons par analogie dans ceux qui ne le sont pas.

En considérant la finalité comme une loi de la nature, et non comme une loi rationnelle de l’esprit, nous avons l’avantage, si nous ne nous trompons, d’écarter le préjugé général des savants contre les causes finales. Pourquoi, en effet, les savants se montrent-ils si opposés aux causes finales ? C’est que pendant de longs siècles, on a fait du principe des causes finales un principe à priori que l’on voulait imposer à la science, aussi bien que le principe de causalité. Pour toute chose, on demandait au savant non-seulement quelle en est la cause, mais encore quel en est le but, comme s’il était tenu de le savoir ; en lui imposant la recherche des buts, on le détournait de la recherche des causes. C’est là le joug qui est insupportable au savant, parce qu’elle lui ôte la liberté de la recherche. Mais si la finalité, au lieu d’être une loi à priori de l’esprit, est simplement une tendance de la nature, qui empêche les savants d’admettre une telle tendance, puisqu’ils en admettent d’autres non moins incompréhensibles ? et même, toute idée de tendance en général, comme nous l’avons vu, n’implique-t-elle pas déjà plus ou moins la finalité ?

Si cette proposition : « Toute chose a une fin » n’est qu’une généralisation empirique plus ou moins légitime, il est évident qu’elle ne peut servir de principe. Dès lors la question change de face. Ne

  1. On nous objectera qu’il en est de même, selon l’école empirique, de la causalité. Mais, en supposant avec cette école que le principe de causalité soit lui-même une généralisation ultime de l’expérience, il resterait toujours une très-grande différence entre les deux principes : c’est que, pour la causalité, toute trace de l’induction primitive a disparu, et qu’il ne reste plus qu’une loi nécessaire de l’esprit ; tandis que le principe de finalité n’a pas réussi à s’incorporer d’une manière aussi complète à la substance de la pensée : il reste objet de discussion : ce qui n’a pas lieu pour la loi de causalité, sinon dans son sens métaphysique, au moins dans son application.
  2. Milne Edwards, Introduction à la zoologie générale, préface.