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analyses.zœllner Sur la nature des Comètes

avec le darwinisme, qui la confirme dans son principe, tout en la dépassant par les applications fécondes qu’il en tire. Darwin fait entrer en quelque sorte l’harmonie préétablie dans le processus mécanique du monde. » M. du Bois-Reymond termine par cette déclaration capitale : « De bien des idées, qu’oublieux parfois de l’origine de nos trésors intellectuels nous nous plaisons à appeler nôtres, Leibniz ne pourrait-il pas, s’il revenait parmi nous après deux cents ans, affirmer dans la pleine conscience de son droit : ceci est l’esprit de mon esprit, la pensée de ma pensée ? »

Presque à la même époque, le 30 mars 1870, un autre physiologiste allemand, le professeur Ewald Hering, prononçait dans une séance solennelle de l’Académie de Vienne un discours plus pénétré encore que le précédent par le souffle nouveau de la spéculation, « sur la Mémoire comme fonction de la matière organisée. » Citons-en seulement la conclusion : « On appelle la tradition orale et écrite la mémoire de l’humanité ; et cette dénomination a sa vérité. Mais dans l’humanité vit encore une autre mémoire. Je veux dire la faculté innée à la substance cérébrale de reproduire (Reproductionsvermögen der Gehirnsubstans) les idées du passé. Sans un tel pouvoir, les écrits, le langage ne seraient pour les races futures que les vains signes des pensées du présent. Les plus grandes idées ont beau être immortalisées de mille manières par les écrits et le langage : elles n’ont aucun sens, pour des têtes qui ne sont pas prédisposées à les entendre (sind Nichts für Köpfe, die nicht dazu gestimmt sind). Il ne suffit pas d’en écouter ou d’en lire l’expression : il faut encore qu’on puisse en reproduire le sens en soi-même. Si, avec le trésor des idées qu’une génération hérite de la précédente, ne se transmettait pas et ne s’accroissait pas, comme un héritage non moins précieux, le perfectionnement intérieur et extérieur du cerveau ; si, avec les pensées conservées par l’écriture, les générations futures ne recevaient pas du passé une facilité plus grande à les reproduire, l’écriture et le langage seraient entièrement inutiles. La mémoire consciente de l’individu s’évanouit avec le moi ; mais la mémoire inconsciente de la nature est une faculté fidèle et impérissable. Celui qui réussit à graver dans cette mémoire immortelle les traces de son activité éphémère peut être assuré qu’elle les conservera et s’en souviendra pour toujours. »

Il y a dix ou vingt ans, aucun savant n’aurait pu tenir en public un pareil langage, sans s’entendre accuser d’intempérance spéculative, sans se voir repousser comme hérétique par ses collègues. Mais l’Allemagne semble revenir aujourd’hui aux dispositions intellectuelles qui constituent son vrai génie, et dont l’illustre Keppler offre un des plus parfaits modèles.

Un signe du temps plus curieux encore que ce retour de l’esprit allemand au goût des hautes spéculations, c’est la tendance actuelle du génie anglais lui-même, pourtant si positif, à s’engager, à la suite de