Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/416

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
408
revue philosophique

Darwin et de Wallace, dans la voie des hypothèses cosmogoniques les plus hardies. La grande loi métaphysique de la continuité dans la nature n’a-t-elle pas été éclairée d’une lumière nouvelle par les découvertes de Darwin ?

Sans doute la théorie de l’évolution ne pouvait porter tous ses fruits qu’en Allemagne, sur le terrain consacré de la spéculation. Le génie allemand n’a pas hésité à pousser jusqu’aux dernières conséquences du principe Darwinien. C’est qu’avec le sens déductif qui le caractérise, il en a saisi immédiatement toute la fécondité logique, et ne s’est pas borné à y voir une généralisation des données de l’expérience. Il est curieux de consulter à ce sujet les notes dont, dès 1860, Bronn, le traducteur allemand de Charles Darwin, accompagnait le texte de son auteur.

La loi Darwinienne de la continuité n’est plus pour ceux qui en saisissent toute la portée philosophique que l’application au règne organique de l’hypothèse transcendentale, si bien formulée par Kant, de l’intelligibilité de la nature (Begreiflichkeit der Natur.) Mais cette loi doit embrasser à la fois le règne inorganique et le règne organique. Elle ne permet pas d’admettre que la série des causes naturelles soit arbitrairement interrompue par des interventions spéciales de la puissance créatrice. — M. Zöllner, pour son compte, n’hésitait pas, dans ses « recherches photométriques, » dès 1865, à se prononcer en faveur de la génération spontanée. Il soutient hardiment « qu’on ne peut nier, sans rejeter du même coup la loi de la causalité, qu’un jour le phénomène de la génératio æquivoca a dû réellement se produire. » Mais il a soin de remarquer que c’est sur une raison logique, à priori (logische, erkenntnisstheoretische Grund), et non sur des arguments empiriques qu’il fonde son assertion. L’insistance avec laquelle la plupart des naturalistes invoquent, pour résoudre le problème, des arguments de fait, lui paraît une preuve convaincante du peu de sens logique des savants d’aujourd’hui. Lors même qu’on réussirait à observer la production incontestable de germes organiques dans des vases absolument fermés à toute communication avec l’atmosphère, que pourrait-on répondre à celui qui soutiendrait que les germes organiques ne sont pas plus gros que les atomes d’éther, et pénètrent comme ces derniers à travers les pores des molécules matérielles, par suite à travers les parois de l’appareil employé ? On n’a pas plus droit de rejeter l’hypothèse de la génération spontanée que celle des atomes d’éther et de leurs vibrations. Toutes deux sont des conditions nécessaires à l’intelligibilité de la nature.

La tentative de ranimer chez les savants le goût de la spéculation, dit M. Zöllner en terminant sa très-curieuse préface, provoquera peut-être chez certains d’entre eux un sourire de compassion dédaigneuse. Mais quel que soit le succès de son entreprise, l’auteur demeure fidèle à l’espoir exprimé par le grand poète allemand :

« Que reste-t-il de toutes les philosophies ? Je ne sais pas.

« Mais la philosophie, je l’espère bien, subsistera, elle, éternellement. »