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manière scientifique, en même temps que l’engagement solennel de ne pas les imiter. Mais qu’il nous semble prompt, si telle est sa pensée, à mettre lui-même cet engagement en oubli ! Dès les premières pages, et en une question qui, plus que toute autre, semble appartenir au domaine de la psychologie expérimentale, il abandonne l’observation pour s’égarer, de gaieté de cœur, dans les hypothèses les plus téméraires et sur les plus escarpés sommets d’une certaine métaphysique. À peine s’est-il proclamé positiviste convaincu et sectateur zélé d’une philosophie qui a la prétention de se renfermer dans l’étude des faits, qu’avec une rare audace il laisse les faits bien loin derrière lui, il abandonne le positivisme lui-même, pour la métaphysique la plus aventurée et la plus dédaigneuse de l’expérience.

Après avoir affirmé en commençant que la vérité absolue est une chimère et que toute vérité est relative, la page d’après, suivant la remarque faite par M. Marion[1], il n’aspire à rien moins qu’à pénétrer d’emblée dans le sein même de l’absolu où il nous faut, non sans peine, tâcher de le suivre. Un des principaux dogmes, on le sait, du positivisme, est l’anéantissement des causes et des substances, et particulièrement de la substance du moi. Pour les positivistes le moi n’est qu’une sorte de fantôme métaphysique, avec lequel ils prétendent en finir pour jamais, en montrant qu’il se résout en une pure collection et succession de phénomènes.

M. Dumont n’hésite pas, ce dont nous lui savons gré, à se séparer du positivisme en ce point fondamental. « Le moi, dit-il, n’est plus conçu par les psychologistes, qui ont maintenu leur science dans le courant des études expérimentales, que comme une somme de sensations successives ou simultanées[2]. » Remarquons d’abord qu’il n’a pas servi grand’chose à ces sages psychologistes de se maintenir, d’une manière si digne d’éloge, dans le courant des études expérimentales, pour aboutir, de l’aveu de M. Dumont, à une erreur qui met en singulier péril tous les fondements de leur édifice. Une substance lui semble, en effet, nécessaire comme à nous, et j’oserais presque dire ici, comme à tout homme de bon sens, pour l’élaboration de la pensée. Elle lui semble nécessaire, à se placer même au seul point de vue de la sensibilité. En effet le plaisir et la douleur, quoique corrélatifs, comme il le dit, à un grand nombre de faits, conservent les caractères d’un état général indivisible et ne paraissent pas se prêter à une semblable analyse. Il aurait pu ajouter que tous les autres phénomènes de l’âme ne paraissent pas s’y prêter davantage.

Mais il n’évite, à ce qu’il semble, une erreur que pour tomber dans

  1. Revue politique et littéraire, du 24 juillet 1875.
  2. P. 83.