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Les moralistes ont souvent agité, et résolu en des sens divers, la question des quantités relatives du plaisir et de la douleur au sein du monde et de la vie humaine. Selon leurs humeurs ou leurs systèmes, les uns font pencher la balance du côté de la douleur, les autres du côté du plaisir. C’est le bien qui l’emporte, d’après Leibniz ; selon Schopenhauer, c’est le mal en un monde qui est tout simplement le plus mauvais des mondes possibles. Au point de vue général et abstrait, où s’est placé M. Dumont, la question prend un autre aspect. Il ne s’agit plus de comparer, de peser les maux et les biens de cette vie, mais de résoudre un problème d’équilibre des forces ou de pure mécanique dans l’ample sein de l’univers. Je laisse l’auteur tirer lui-même cette conclusion, non moins téméraire que tout ce qui précède, de sa métaphysique de la sensibilité : « De ce que les deux procédés inverses de la causalité se supportent réciproquement, de ce qu’il ne peut y avoir composition que de forces antérieurement séparées, et séparation que de forces antérieurement réunies, et enfin de ce qu’il existe éternellement dans l’ensemble de l’univers la même quantité de force, de mouvement et de phénoménalité, il s’ensuit que le plaisir et la douleur doivent exister en quantité rigoureusement équivalente et éternellement immuable au sein de l’absolu[1]. » De là, ajoute-t-il, une philosophie également éloignée de l’optimisme qui prétend que le bien l’emporte sur le mal, et du pessimisme qui prétend que le mal au contraire l’emporte sur le bien, et qui ne permet de concevoir que des progrès relatifs d’un monde au détriment d’un autre, d’une espèce au détriment d’autres espèces. Cet équilibre du bien et du mal n’exigera-t-il donc pas aussi des compensations au détriment des uns ou des autres ? En vérité, le regret parfois nous prend que M. Dumont ne soit pas un plus fidèle sectateur, malgré sa profession de foi, de la philosophie qui s’enferme dans l’étude des faits, ou même qu’il ne soit pas un peu plus positiviste. Est-ce donc bien là une Théorie scientifique de la sensibilité ?

Mais, d’ailleurs, sauf ces écarts dans le domaine de la métaphysique, M. Dumont mérite des éloges pour la manière dont il défend l’activité comme principe unique de la sensibilité, quand il veut bien redescendre à l’homme et à la psychologie. Il montre toute la faiblesse des objections de Stuart Mill, fort peu concluantes, à notre avis, comme au sien. Dans son Examen de la philosophie d’Hamilton, Stuart Mill reproche à Hamilton, cet habile défenseur de la théorie péripatéticienne, d’avoir vainement poursuivi la recherche d’une

  1. P. 116, conclusion de la première partie.