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D’un autre côté la dépense toute seule, si elle n’était pas alimentée par quelque augmentation proportionnée, serait tout aussitôt un empêchement, une diminution, un déchet, que la douleur accompagne toujours. Ainsi nous continuerons à dire que l’exercice normal de notre activité, de toutes nos fonctions, de toutes nos facultés, est bien le principe de la sensibilité, sans nullement courir le risque de faire cette grosse confusion théorique entre le plaisir et la douleur.

La seconde partie de l’ouvrage de M. Dumont est consacrée à la classification des phénomènes du plaisir et de la douleur et à l’analyse des émotions. D’accord avec Paley, Mantegazza[1], et plusieurs autres psychologues, nous pensons que ces phénomènes considérés en eux-mêmes ne donnent pas une prise suffisante à une classification de quelque valeur. En effet, abstraction faite des causes ou des objets qui les excitent, et à part la grande et naturelle distinction du plaisir et de la douleur, il ne reste plus rien pour les classer que les degrés divers de leur intensité et de leur durée, dont telle est l’instabilité qu’il paraît impossible d y fonder des divisions. Cependant, sans sortir de leur nature intrinsèque, par la seule considération des différentes manières dont se produit l’augmentation ou la diminution d’énergie d’où résultent le plaisir et la douleur, M. Dumont a cru pouvoir trouver les bases d’une classification vraiment philosophique.

Ainsi il établit une distinction entre les peines et les plaisirs négatifs et les peines et les plaisirs positifs. La douleur est positive, suivant lui, quand il y a augmentation de dépense de force ; elle est négative quand nous n’en recevons pas assez. De même le plaisir est positif quand il a pour cause une augmentation d’excitation, et il est négatif quand il résulte d’une diminution de dépense. Ici encore cette différence est-elle bien en réalité aussi nette et profonde que le pense M. Dumont ? Trop dépenser, ou ne pas assez recevoir, sont choses qui se touchent par plus d’un point. Suivant nous, tous les plaisirs, sans exception, sont positifs, parce que tous ils résultent d’un déploiement d’activité normale ; toutes les peines, au contraire, sont négatives, parce que toutes ont pour cause un empêchement, un arrêt, ou bien l’abattement qui suit immédiatement une dépense de force excessive. Il faut donc, à notre avis, s’en tenir à la classification des plaisirs et des douleurs par les causes qui les produisent, et maintenir cette hiérarchie naturelle qui dépend du plus ou moins de dignité de ces causes, depuis les fonctions inférieures de la vie organique, jusqu’aux modes les plus élevés de l’intelligence, depuis

  1. Fisiologia del placere, in-12, Settima stampa, Milano, introduzione.