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Jules SOURYHISTOIRE DU MATÉRIALISME

Rien n’arrive par hasard, mais tout arrive d’après une raison et par nécessité, οὐδὲν χρῆμα μάτην γίνεται, ἀλλὰ πάντα ἐϰ λόγου τε ϰαὶ ὑπ’ ἀνάγϰης. Si l’on prend garde que la « raison » n’est que la loi mécanique et mathématique suivie de toute nécessité par les atomes en mouvement dans le cycle éternel de la production et de la destruction des mondes, on reconnaîtra que la téléologie n’a point de place dans ce système. C’est la plus éclatante défaite de cette « ennemie héréditaire des sciences de la nature, » ainsi que l’appelle Albert Lange. Ce n’est pas le hasard, l’aveugle destin, qui domine toute cette conception, comme on l’a tant de fois répété après Cicéron. Pas plus que l’univers le moindre phénomène n’est l’œuvre du hasard : le monde est gouverné par des lois fatales, expressions abstraites des rapports naturels des choses. Pour que la science pût apparaître, il fallait écarter résolûment toutes les interprétations anthropomorphiques et religieuses de la nature, il fallait bannir sans pitié du gouvernement de l’univers les intentions morales et les vues rationnelles de l’homme, en un mot, il fallait exorciser jusqu’au fantôme des causes finales. Aristote s’en plaint ; Bacon y applaudit. Tant que le divin ou le surnaturel intervient en quoi que ce soit dans les événements du monde, il n’y a point de science de la nature. Croire à une finalité de l’univers, à un idéal qui se réalise, à une conscience qui se fait, à une loi de développement interne des choses, c’est encore croire aux miracles. Quand la foudre éclatait dans les cieux embrasés, quand les comètes[1] apparaissaient, que le soleil ou la lune s’éclipsait, dit Démocrite, les hommes des anciens jours s’effrayaient, convaincus que les dieux étaient les auteurs de ces prodiges, θεοὺς οἰόμενοι τούτων αἰτίους εἶναι.

Rien n’existe véritablement que l’atome et le vide, ἐτεῇ δὲ ἄτομα ϰαὶ ϰενόν. « On a ici, écrit Lange, en une seule proposition, le côté fort et le côté faible de toute atomistique. » Il rappelle que le fondement de toute explication rationnelle de la nature, de toutes les grandes découvertes des temps modernes, a été la réduction des phénomènes au mouvement des plus petites particules de la matière. Nul doute que, sans la réaction contre les recherches naturelles qui partit d’Athènes, et que personnifie Socrate, l’antiquité ne fût arrivée, sur cette voie qu’elle avait trouvée, à d’importants résultats. C’est par l’atomisme qu’on explique encore aujourd’hui les lois du son, de la lumière, de la chaleur, des actions nerveuses, bref, de tous les changements chimiques et physiques que subissent les choses. Mais, aussi peu aujourd’hui qu’à l’époque de Démocrite, on ne saurait

  1. C’est ainsi qu’il faut traduire ici ἄστρων συνόδους, v. Ed. Zeller, Die Philos. der Griechen, p. 756. Cf. p. 724.