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horwicz. — développement de la volonté.

plaisir satisfait nous dispose à la jouissance tranquille. Mais le désir est la représentation d’un plaisir auquel il tend, il est essentiellement une aspiration vers un plaisir. Et à ce caractère se rattache une autre différence non moins importante. L’appétit n’est pas lié au temps, il est limité au tourment actuel ; le désir, au contraire, a sa racine dans le souvenir d’un plaisir antérieur, auquel il aspire de nouveau dans l’avenir ; il embrasse le passé et l’avenir. En outre, tandis que l’appétit se borne uniquement à réagir contre le seul déplaisir, le désir procède déjà avec plus de combinaison. Il sait supporter un déplaisir présent, renoncer à la jouissance pour atteindre un plaisir plus grand ou pour éviter un plus grand déplaisir. C’est pourquoi les appétits sont multiples, correspondant aux différentes conditions des différents organes et se dispersant dans les directions les plus diverses ; les désirs, au contraire, sont moins nombreux, tendent plus à l’unité et forment en quelque sorte une bourgeoisie un peu plus distinguée, supérieure à l’ochlocratie des appétits. Cependant on sait bien que le calme ne règne pas précisément parmi eux et qu’ils sont également soumis à la loi de la concurrence vitale.

Comme nous l’avons vu, un élément très-important dans le développement des désirs, c’est l’habitude. Elle fait sentir son influence de deux manières. D’abord elle nous fait connaître le plaisir, le transforme en un besoin et est ainsi la cause que le désir naît et se développe du côté où il aspire. En second lieu, elle nous rend le mouvement, qui engendre la sensation du plaisir, de plus en plus familier et nous met à même de mesurer exactement la grandeur, la rapidité et l’énergie des efforts nécessaires pour arriver au but de notre désir. Elle nous fournit donc le moyen de calculer en quelque sorte par avance le succès de nos mouvements et d’apprécier en conséquence quelle probabilité il y a de parvenir à la sensation agréable qui est l’objet de nos désirs.

De ces deux éléments, le degré d’habitude à un certain plaisir, joint à la grandeur absolue ou relative de ce dernier, et le degré de la possibilité qu’il y a de l’obtenir, naît une gradation assez variée dans la vivacité de nos désirs. Du souhait innocent qu’on pourrait tout aussi bien appeler renoncement, on passe par des transitions faciles, presque insensibles, au désir passionné pour la. réalisation duquel on risquerait la tête. Cependant dans cette gamme, on peut distinguer nettement deux degrés qui sont dans la nature des choses. Le souhait basé principalement sur la représentation de la sensation agréable et faisant abstraction des moyens d’accomplissement (soit parce qu’il est impossible de se les procurer, soif parce que la fai-