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tage de ne rien préjuger sur la nature de ce qui reste en nous des impressions primitives et d’exprimer un simple fait, sans aucune hypothèse additionnelle. Nous signalerons des considérations intéressantes sur les mémoires locales (p. 120 et suiv.). En ce qui concerne la perte de la mémoire, il y a un point sur lequel nous appelons l’attention de l’auteur. Il fait remarquer que les noms propres disparaissent d’abord, puis les substantifs, et que les adjectifs ou qualificatifs ne disparaissent qu’en dernier lieu. Ce fait est admis par tous les observateurs ; mais M. Luys en conclut « que l’esprit humain, en se dépouillant de ses richesses, les perd chronologiquement dans l’ordre où il les a accumulées. » Nous sommes ici bien plutôt de l’avis de Gratiolet qui dit que l’ordre des pertes est l’inverse de celui des acquisitions et qui en donne d’excellentes raisons. « Tout disparaît avec les adjectifs parce qu’on ne saurait avoir aucune idée d’une chose indépendamment de ses qualités[1]. » Nous avons vu d’ailleurs (Revue philosophique, p. 215) que M. H. Jackson est arrivé aux mêmes conclusions que Gratiolet, en ce qui concerne les altérations du mouvement et du langage.

Sous le titre d’activité automatique des éléments nerveux, M. Luys comprend des choses fort diverses, telles que l’action réflexe, l’association des idées, les actions sympathiques, etc.

Dans la troisième partie de son livre intitulée : Évolution des processus de l’activité cérébrale, il considère les éléments « non plus comme des forces simples à l’état statique ; mais au point de vue dynamique, comme des forces vives en mouvements, combinées les unes avec les autres, opérant des réactions réciproques et concourant aux divers modes de l’activité mentale. » Il examine successivement l’évolution des impressions sensitives, optiques, acoustiques, olfactives, gustatives, génitales ; puis du jugement et de la volonté.

Les chapitres consacrés à la genèse, au développement et aux perturbations de la notion de notre personnalité nous paraissent les meilleurs de tout l’ouvrage. On y sent une méthode toute différente de celle de la psychologie abstraite. Tandis que la méthode intérieure toute seule ne peut, quoi qu’elle fasse, saisir autre chose que quelques phénomènes fugitifs qui servent à constituer une notion vague et tronquée de la personnalité, la méthode suivie par M. Luys lui permet de voir et de montrer combien cette notion est complexe, comment chaque élément du corps et pour ainsi dire chaque cellule contribue à la former. Tout ce qui vient de la périphérie de notre corps, de l’intimité de nos tissus, de nos muqueuses, de nos viscères, de tout notre être en un mot, est transporté par les filets nerveux vers les régions centrales du système, vers le sensorium commune, « Toutes ces sensibilités y trouvent une région symétrique qui vibre à l’unisson de leur tonalité

  1. Pour l’exposition détaillée de cette question, voir son Anatomie comparée du système nerveux, tome II, p. 460-463.