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e. de hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt.

également dans l’acte concret de la production par la nature concrète de la chose en soi et par sa causalité transcendante. Par conséquent, la distinction établie pas Kant entre la forme et la substance est insoutenable sous tous les rapports et perd toute valeur avec les amoindrissements de Schopenhauer. La forme, l’énergie, la rapidité du mouvement et les autres déterminations par le temps et l’espace nous font connaître la nature réelle de la chose en soi tout aussi bien que la couleur, le son, etc. Frauenstaedt ne voudra certainement pas le nier du point de vue où il s’est placé ; Helmholtz aussi, dont il invoque l’autorité, est obligé, en qualité de naturaliste, de supposer que les formes du temps et de l’espace produites spontanément par l’âme sont, dans leur réalité concrète, conditionnées par l’action déterminée des sens aussi bien que les propriétés physiques de la sensation. Néanmoins la doctrine de Schopenhauer, telle qu’elle est exposée par Frauenstaedt, diffère encore essentiellement sous ce rapport du réalisme scientifique représenté par Helmholtz, même abstraction faite de cette différence bien plus profonde qu’en fait Schopenhauer reconnaît et admet seulement une causalité immanente, et que le réalisme scientifique admet seulement une causalité transcendante.

Pour défendre son interprétation de Schopenhauer, Frauenstaedt dit ce qui suit : là où un philosophe émet deux assertions contradictoires, on ne peut pas regarder toutes les deux, mais seulement l’une d’elles comme son opinion propre et véritable ; l’autre doit être considérée comme ayant été abandonnée. » Cette proposition est fausse. Les contradictions dans les idées d’un penseur original proviennent de ce qu’en partant de points de vue divers et de différents champs d’expérience, il arrive à des conclusions s’excluant réciproquement et dont il ne peut concilier la contradiction par une synthèse, faute de puissance spéculative. C’est à ses successeurs à trouver le point de vue plus élevé d’où l’on puisse reconnaître la vérité relative des assertions contradictoires. Mais si par une critique négative on élimine prématurément l’une d’elles, les systèmes sont sans doute débarrassés des contradictions, mais ils deviennent aussi plus vides, plus pauvres. C’est pourquoi il y a quelque chose à retenir de l’idéalisme subjectif et il ne faut pas le considérer comme tout à fait abandonné ; par lui nous arrivons à reconnaître que la chose (en soi) et l’objet (de la représentation) sont hétérogènes et que non-seulement la substance mais encore la forme de l’intuition sont produites uniquement par l’activité propre du sujet, avant qu’il en ait conscience (toutefois dans la mesure de la causalité de la chose). Voilà la vérité qui élève l’idéalisme subjectif au-dessus du réalisme naïf ;