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e. de hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt.

temps réel, mais encore celle de la causalité réelle, tandis que l’espace, le temps et la causalité, en qualité de formes subjectives de l’intuition et de la pensée, représentent uniquement des images idéales de ces formes réelles de l’existence. Cette manière de voir doit nécessairement être repoussée comme très-hérétique par Schopenhauer et les vrais Schopenhaueriens, et Frauenstaedt, en voulant, dans sa 23e et sa 24e lettre, prouver que son maître reconnaissait une causalité réelle, c’est-à-dire qui dépasse la conscience, démontre le contraire de ce qu’il veut prouver. Schopenhauer ne reconnaît absolument qu’une causalité immanente des objets de la représentation, et le soin avec lequel il maintient les limites du domaine de la causalité se montre aussi en ce qu’il refuse opiniâtrement de comprendre sous le concept de causalité tout influxus qui ne rentre pas dans ces limites. Il est ici question principalement de l’influence de la volonté sur le monde des phénomènes, ou encore de celle des forces de la nature sur les phénomènes de la nature, ainsi que sur l’action réciproque qu’exercent l’un sur l’autre le sujet et l’objet.

Schopenhauer admet que tout changement est le produit de deux facteurs, dont l’un est intérieur, constant, et l’autre extérieur, variable ; mais le premier est à ses yeux le principe ou l’essence des phénomènes, et le second seulement est la cause qui reçoit du premier « la possibilité d’agir. » Il avertit de ne pas confondre la force et la cause, il soutient que la volonté n’est jamais cause et il restreint toutes les causes à des causes occasionnelles[1]. Tout cela est parfaitement logique au point de vue de la causalité immanente, puisque la force ou la volonté, si elles sont reconnues comme cause, le sont du même coup comme causes transcendantales, ce que Schopenhauer ne veut pas et ne peut pas admettre. Par là on voit combien est vain l’essai de Frauenstaedt de fonder la réalité de la causalité, dans le sens transcendant, sur ce fait que les forces de la nature sont des causes réelles, et de démontrer ainsi le réalisme de Schopenhauer ainsi que sa répudiation de l’idéalisme subjectif. On peut en dire autant de ses efforts pour démontrer qu’il existe dans le système de Schopenhauer une causalité réelle entre l’objet et le sujet, et il faut encore ajouter qu’il confond constamment d’un côté la chose (en soi) et l’objet, de l’autre côté le sujet réel de la fonction de représentation et le sujet idéal de la représentation. Dans Scho-

  1. Pour pouvoir montrer l’identité de la cause et de l’effet, Hegel admet le point de vue exclusif opposé ; il reconnaît comme véritable cause la quantité de forces toujours égale dans les deux ; il élimine comme un élément tout à fait accessoire et sans importance la forme sous laquelle cette force se présente ainsi que les conditions concrètes qui déterminent la manière dont elle se transforme (Comp. mon traité : De la méthode dialectique, p. 86).