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est maintenue au point de vue métaphysique comme le principe anticipant les faits de l’avenir, il est tout à fait vain de refuser l’épithète d’idéale à cette anticipation de l’avenir qui sans doute n’est pas réelle, mais qui existe cependant, c’est-à-dire de faire une distinction entre le contenu de la volonté et l’idée. En sa qualité de pluraliste, Bahnsen peut plutôt s’aveugler sur cet état bien simple de la question, mais cela est impossible à Frauenstaedt qui, en qualité de moniste, voit dans la nature une évolution progressive idéalement prescrite, dans l’histoire un développement de la raison pure, dans le désir de la connaissance la plus haute forme de la volonté, qui attribue l’immortalité non-seulement à la volonté mais encore à l’intellect dans la volonté connaissante. À moins de bouleverser d’une façon irrémédiable toute la conception du monde, il ne peut renoncer à l’idée objective de Schopenhauer, et c’est pourquoi il est absolument obligé de reconnaître, pour la représentation inconsciente et la téléologie, les conséquences de cette hypothèse métaphysique que j’ai développées dans la philosophie de l’inconscient.

Frauenstaedt pense que la doctrine de l’éternité des idées de Schopenhauer est réfutée par la nouvelle théorie du développement de Darwin, et il est d’avis que « l’esthétique n’a nullement besoin d’admettre cette éternité de l’idée ou des types des choses. » Cette observation est certainement juste, et, comme je l’ai déjà observé plus haut, Schopenhauer n’a nullement soutenu l’éternité des idées par des raisons esthétiques. Au point de vue métaphysique cette doctrine est encore pleinement justifiée, même après élimination de l’idéalisme subjectif, si seulement on renonce à l’opinion qu’il faut nécessairement comprendre sous l’éternel être des idées un être explicite et actuel ; Schopenhauer l’a en tout reconnu, puisqu’il regardait la durée infinie des espèces comme le corrélatif empirique de l’éternité des idées. L’immutabilité et la durée infinie des espèces est une hypothèse qui ne peut certainement pas être maintenue en présence de la nouvelle science inductive et à laquelle il faut renoncer en faveur d’une conception évolutionniste de la nature. Mais, tout en reconnaissant la naissance et le changement successifs des espèces, on peut cependant très-bien admettre une éternelle préformation idéale de ces types, en tant seulement que l’on ne comprend pas sous cette dernière une forme constante et actuelle de la volonté, mais une prédestination implicite et idéale d’un développement éventuel.

Même la manière dont Schopenhauer conçoit l’idée donne quelques points d’appui à cette interprétation, à savoir son observation que l’idée ressemble, non comme le concept à un réceptacle privé