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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

au point de vue moral. Notre vie morale, heureusement, n’a pas une base aussi peu sûre que celle des conceptions spéculatives. L’existence d’un principe, spirituel, quand même elle pourrait être démontrée, ne nous aiderait pas plus à comprendre, et si nous les comprenions, à modifier les faits de la vie morale. Une observation superficielle suffit à montrer combien un tel Principe est incapable d’engendrer une conduite morale, puisque tant d’âmes font preuve d’une insensibilité déplorable en présence des devoirs moraux. Quiconque a fréquenté les prisons et les asiles d’aliénés, sait qu’il y a des êtres chez qui le « sens moral » manquait d’une façon irrémédiable. Et l’on ne peut pas attaquer cette observation en invoquant les effets d’une mauvaise éducation, puisque cet argument impliquerait que la Moralité dépend plus de l’éducation que du Principe psychique. — Et si l’on dit que les crétins et les criminels sont tels que nous les voyons à cause de leur « organisation défectueuse, » cela implique également que l’organisation, et non pas le Principe, est la base de la vie morale, et que c’est elle que nous devons étudier.

Avant de procéder à l’examen de la valeur des hypothèses matérialiste ou spiritualiste, je demande au lecteur de débarrasser son esprit, s’il est possible, des considérations déplacées que l’on a tolérées jusqu’à présent et qui étouffent et obscurcissent la question. Le spiritualiste, cela est notoire, réclame pour son hypothèse la consécration de « nos instincts les plus sacrés et de nos aspirations les plus élevées, » — réclamation qui peut bien exciter la sympathie et l’espoir, qui place ses adversaires dans une position désavantageuse, mais qui, à l’examen, n’est qu’une hypothèse déplacée. Le spiritualiste s’appuie sur elle pour stigmatiser toute opposition comme fausse, sous prétexte qu’elle est dégradante : et non pas, cela doit être observé, comme dégradante parce qu’elle est fausse ! Il s’appuie sur elle pour proclamer que ses adversaires rejettent tous les faits spirituels, rejettent la responsabilité morale, le désintéressement, et tout but idéal. Dans cette situation, il trouve qu’il n’y a pas de mot si infamant qui ne puisse être lancé contre ceux qui critiquent son hypothèse ; ni de conclusions assez absurdes qui ne puissent leur être attribuées. Ainsi, pendant longtemps le matérialisme a été un terme de reproche ; et la plupart des hommes se sont empressés de désavouer toute sympathie avec une opinion à la fois si « basse » et si « méprisable. »

Faire l’éloge de soi-même, et décrier ses adversaires, est un procédé de rhétorique que l’on ne peut espérer voir disparaître — de nos jours du moins. Mais la rhétorique de certains spiritualistes est vraiment choquante pour les esprits sérieux, qui