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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

que fournissent en sa faveur les ouvrages de tous les grands penseurs. J’ai même été pendant quelque temps tout près d’une conversion. L’idée d’un esprit nouménal, comme quelque chose de distinct des phénomènes mentaux — répandu dans l’organisme et donnant à la conscience une unité toute différente de l’unité d’une machine, m’apparut un matin avec une force soudaine et nouvelle, tout à fait différente de la manière vague dont je l’avais conçue jusque-là. Pendant quelques minutes je restai sans mouvement, dans l’extase, pénétré de surprise. Il me semblait que j’entrais dans une nouvelle voie, conduisant à de nouvelles issues et avec de vastes horizons. Les convictions de toute ma vie semblaient chancelantes : j’étais animé d’une ardeur fiévreuse, mêlée au vif plaisir de la découverte, mêlée aussi à des hésitations, à des incertitudes ; et de ce moment j’ai compris quelque chose aux conversions subites. Il n’y avait en moi, je me le rappelai ensuite, aucun sentiment d’angoisse à la vue du départ de mes vieilles croyances. Et de fait, il est douteux que les conversions soudaines soient accompagnées de douleurs : — l’excitation est trop grande, les idées nouvelles sont trop absorbantes. L’enthousiasme de posséder la vérité surpasse la fausse honte d’avoir été dans l’erreur. La seule chose que l’on désire c’est d’avoir plus de lumière.

La méditation intense et prolongée qui suivit, retentit sur ma santé. Je relus les écrits des grands penseurs spiritualistes, en faisant tout mon possible pour" écarter les vieilles objections et les vieilles hésitations qui surgissaient continuellement, et en essayant de tenir mon esprit ouvert à tous les arguments qui pouvaient se présenter. Mais la lumière vacillait à mesure que j’avançais. Les vieux ordres d’idées revenaient, avec l’évidence physiologique qui ne pouvait être méconnue. Au lieu d’acquérir la conviction par la lecture des écrits des métaphysiciens, plus j’étudiais, plus l’obscurité grandissait ; — si bien qu’à la fin je revins à mon point de départ, et que je commençai à l’examiner de nouveau. Et le résultat fat de voir que la distinction entre l’esprit nouménal, et les phénomènes mentaux n’était qu’une distinction logique transformée en distinction réelle ; qu’elle était le produit de la séparation entre une abstraction et son concret, analogue à celle que nous faisons quand nous séparons l’abstraction substance des qualités concrètes, et quand nous érigeons cette séparation faite logiquement en une distinction réelle, en réalisant l’abstraction que l’on suppose alors précéder et produire le concret dont elle est tirée en réalité. De la sorte, l’esprit nouménal n’a pas plus de garantie d’existence, que n’en a un principe des machines en dehors de toutes les machi-