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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

nifestations de la matière ordinaire », en d’autres termes : que la vie est produite par une terre inerte et sans vie, par des cristaux ou des gaz, et l’esprit par une matière aveugle et inconsciente. Mais bien qu’il y ait beaucoup à dire au sujet des matérialistes, jamais ils n’énonceront un pareil non-sens. Ils n’ont jamais supposé que la matière ordinaire vivait et sentait. Quelque incomplète que puisse être leur conception des conditions matérielles qui impliquent l’esprit et la vie, ils ont eu, du moins, la supériorité manifeste d’avoir essayé d’exprimer les faits observés en termes d’expérience, et de s’être refusés à postuler un agent inconnaissable.

Le véritable champ de bataille est celui-ci : Il s’agit de savoir si dans la recherche d’une explication des phénomènes de la vie et de l’esprit, nous l’édifions d’après des faits observés et des lois connues, en remplissant les vides de l’observation par des inductions, qui aient elles-mêmes une base sensible et admettant une vérification possible, de manière que l’hypothèse puisse se conformer aux-règles scientifiques et représenter l’expérience sensible ou extra-sensible, ou bien si nous dépassons la sphère de l’observation possible, si nous avons un agent qui n’a jamais été et ne sera jamais sensible, ni exprimé en termes d’expérience.

Ceux qui choisissent la première alternative sont classés parmi les matérialistes ; ceux qui choisissent l’autre sont spiritualistes. Mais ici, une subdivision est nécessaire. De même qu’il y a des adversaires du matérialisme qui, tout en rejetant l’hypothèse d’un esprit, la remplacent par l’abstraction réalisée d’une idée, d’un plan, il y a des adversaires du spiritualisme qui rejettent l’hypothèse physico-chimique de la vie, — l’hypothèse qui considère la pensée comme une propriété des cellules cérébrales — et qui doivent être distingués des matérialistes par leur attitude synthétique, qui embrasse tout l’ensemble des facteurs. On peut désigner ces derniers sous le nom spécial d’organicistes, puisque c’est à l’organisme (avec tout ce que ce mot implique) qu’ils rapportent tout phénomène organique. Naturellement les diverses opinions se mêlent insensiblement les unes aux autres, de sorte qu’il est rarement possible de déterminer toutes les vues d’un penseur isolé. Mais, d’une façon générale, les deux écoles se distinguent en tant qu’extra-organiques ou organiques, ou bien en tant que métaphysiologiques et physiologiques. Quand j’ai dit que je rejetais l’hypothèse matérialiste, j’avais naturellement en vue la forme imparfaite qu’implique souvent l’interprétation physiologique ; mais si l’on identifie le matérialisme avec l’interprétation physiologique impliquant le rejet de l’hypothèse métaphysiologique, je l’accepte de grand cœur.