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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

que les processus psychologiques dérivent clairement des processus physiologiques. Mais les métaphysiciens, mettant en avant leurs distinctions analytiques, et réalisant les résultats de cette analyse, en viennent à croire non-seulement à la réalité de la distinction entre l’esprit et la vie, mais encore à la réalité de la distinction entre l’action et l’agent, et cet artifice logique, ainsi érigé en réalité, conduit à postuler un principe vivant, qui est quelque chose d’essentiellement différent de l’organisme[1]. C’est dans cette voie qu’ils ont trouvé de plus en plus les raisons de séparer du groupe de phénomènes, et qu’après avoir séparé la vie du corps, ils ont détaché l’esprit des sens, sous prétexte que les sens impliquaient clairement des organes corporels et des excitations matérielles ; et qu’ils ont restreint l’esprit à la pensée et à la volonté qui leur paraissaient dégagées de toute participation aux conditions matérielles[2].

Le spiritualisme ayant ainsi dégagé la pensée et la volonté de tout ce qui implique la matière, met en avant, pour trouver que l’âme est ce qui détermine les phénomènes vitaux, le fait indiscuté, que la pensée et la volonté ont sur les fonctions corporelles une influence bien marquée. Le raisonnement contraire est cependant plus fondé quand il insiste sur le fait non moins indiscutable de l’influence des fonctions corporelles sur les états mentaux, fait auquel le spiritualisme essaye vainement d’échapper, en déclarant qu’il est un mystère, mais que l’on peut interpréter d’une manière plus rationnelle en le

  1. J’ai assez d’imagination pour voir, dit Abernethy, que si les philosophes trouvaient une fois une raison de croire qu’il y a quelque chose de nature invisible et active surajouté à l’organisme, ils trouveraient qu’il y a également des raisons de croire que l’esprit peut être surajouté à la vie, comme la vie est surajoutée à la structure. Ils en arriveraient même à découvrir comment l’esprit et la matière ont une influence réciproque l’un sur l’autre au moyen d’une substance intermédiaire. (Recherches sur la Probabilité et la valeur de la théorie de M. Hunter sur la vie.)
  2. Maine de Biran ne se borne pas à séparer toutes les fonctions vitales de l’âme, du Moi ; il en sépare même la sensibilité, et toutes les fonctions qui en dépendent, « l’imagination, les reproductions ou associations fortuites d’images ou de signes, enfin tout ce qui se fait passivement ou nécessairement en nous. » (Rapports du physique et du moral). Et énumérant ailleurs les phénomènes qu’il rejette ainsi, il dit que tout ce qui appartient à l’organisme appartient à la nature physique : a Des affections immédiates de plaisir ou de douleur ; des attraits sympathiques ou des répugnances inhérentes au tempérament primitif ou confondus avec lui et devenus irrésistibles par l’habitude ; des images qui se produisent spontanément dans l’organisme cérébral, et qui tantôt persistent opiniâtrement, tantôt se réveillent avec les paroxysmes de telles maladies ou désordres nerveux, les mouvements violents, brusques et précipités que ces passions entraînent, soit que le moi de l’homme étant absorbé n’y prenne aucune part, soit qu’il y assiste comme témoin ; les appétits, les penchants, les déterminations, les idées qui suivent nécessairement la direction du physique ; tout cela est hors du domaine moral. » (Œuvres, t. III, p. 352 ; édit. Naville).