Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
578
revue philosophique

ramenant aux dépendances réciproques des phénomènes organiques, dont font partie la pensée et la volonté. Quand nous voyons qu’une potion d’alcool ou de morphine excite ou déprime l’activité mentale, de même que le resserrement ou le relâchement d’une corde augmente ou diminue la rapidité de ses vibrations, — quand nous voyons que l’arrêt d’une sécrétion produit de la tristesse, que des palpitations de cœur réveillent la crainte, quand nous voyons que la tendance au suicide peut être arrêtée par une dose d’opium, et qu’elle revient quand l’administration de l’opium est trop longtemps interrompue, il est impertinent de rejeter cette preuve que les états mentaux dépendent de conditions matérielles, et de demander d’accepter à la place la conclusion que les faits sont mystérieux. Mystérieux, peut-être ; mais le mystère ne prouve rien en faveur d’un agent extra-organique.

On ne gagne rien à placer le mystère dans une âme qui se manifeste par l’intermédiaire du corps, en se servant du corps comme un musicien se sert d’un instrument dont les imperfections sont perceptibles dans la musique, mais n’inculpent aucunement les facultés de l’exécutant. Sans doute on pourrait accepter une pareille interprétation, si cette hypothèse avait quelque preuve en sa faveur. Mais où est la preuve que le corps est un instrument dont joue l’âme ? Il n’y en a absolument aucune. Cette hypothèse a été produite par suite de notre ignorance avouée de la connexion causale. Nous n’avons aucune connaissance, soit de l’esprit et de ses facultés, soit du corps et de ses propriétés, que l’on puisse comparer à notre connaissance du musicien et de l’instrument, et qui nous permette d’expliquer l’action de l’un sur l’autre. Tout ce que nous connaissons d’une manière positive, ce sont les changements qui se produisent dans le corps ; et parce que nous ne comprenons point comment des changements matériels peuvent produire des phénomènes vitaux et mentaux, nous induisons l’intervention de quelque chose qui n’est pas matériel ; d’autant plus que la matière et l’esprit sont des conceptions qui s’excluent mutuellement. Mais là, c’est une ambiguïté de termes qui crée la difficulté. Par un artifice logique, nous avons séparé la matière de l’esprit, — ce qui est senti de ce qui sent : — et, après avoir établi cette opposition, nous ne pouvons reconnaître l’artifice. Que les phénomènes mentaux ne soient pas des phénomènes matériels, — c’est une chose qu’affirment les termes mêmes que l’on emploie. Dans le même sens les phénomènes chimiques ne sont pas physiques ; les phénomènes vitaux ne sont pas chimiques ; les phénomènes moraux ne sont pas des phénomènes mécaniques, et les phénomènes politiques ne sont pas des phénomènes domestiques. Mais ces distinctions