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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

artificielles, qu’exprime nécessairement le langage, ne doivent être prises que pour ce qu’elles valent. Elles ne touchent en rien à la réalité de tous les phénomènes, qu’ils soient des changements du senti, quand ils sont vus objectivement, ou bien des changements de ce qui sent, quand ils sont vus subjectivement. La matière dont les spiritualistes parlent avec tant de mépris n’est qu’une abstraction. La matière, le réel, celle à laquelle nous avons affaire, est saturée d’Esprit, puisqu’elle est le senti.

Quand on dit que « l’on ne peut rendre compte des phénomènes vitaux par les lois connues, » il y a une ambiguïté analogue. Il est vrai qu’ils n’ont pas été suffisamment observés, analysés, classés, pour que leurs lois constantes, si ce n’est d’une manière générale, aient été découvertes ; il est vrai, par suite, que la connaissance actuelle des lois organiques est insuffisante pour rendre compte de plusieurs phénomènes vitaux. Mais cette limitation que connaissent tous les biologistes, est changée par les spiritualistes en l’affirmation que les lois connues de la matière, étant incapables d’expliquer les faits, les lois inconnues de l’esprit en sont seules capables. Ils peuvent aussi bien invoquer les lois inconnues de l’esprit pour expliquer les faits actuellement inexplicables de l’astronomie, de la physique, de la chimie. Barclay cite un passage du chimiste Chaptal pour qui le plus fort argument est que « le principe de la vie nous présente des phénomènes que la chimie n’eût jamais pu connaître ni prédire par la seule étude des lois invariables, observées dans les corps inanimés[1]. » Cela est vrai, mais ne prouve rien. Aucun phénomène chimique n’eût pu être prédit par l’étude des lois invariables, observées en astronomie ; aucun phénomène météorologique n’eût pu être prédit par les lois d’optique ou d’acoustique. Pour prédire les phénomènes, nous devons prendre en considération toutes les conditions qui concourent à les produire. Et c’est parce que le matérialiste ne le fait pas, qu’il espère que la chimie pourra expliquer des phénomènes qui impliquent autre chose que des conditions chimiques. Mais le spiritualiste ne rectifie pas l’erreur quand il cherche, hors de l’organisme, un principe surajouté aux conditions matérielles.

Il n’y a aucune force dans les arguments qui concernent l’impossibilité de concevoir la matière comme douée de propriétés vitales, et l’impossibilité dans laquelle nous sommes, avec les ressources actuelles, de faire de la substance organisée. Il y a, à la vérité, une nécessité logique de tirer une large ligne de démarcation entre les

  1. Barclay : « Vie et organisation, » 1822, p. 338.