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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

sorcellerie. Le matérialisme (et naturellement l’organicisme) est stigmatisé comme un « essai de dévoiler les mystères de la vie. » Mais pourquoi ne dévoilerions-nous pas ces mystères, si nous le pouvons ? Dans les temps préscientifiques, les hommes qui proposaient des explications de l’univers dans ses rapports naturels et surnaturels étaient révérés commodes maîtres, tant qu’ils se confinaient aux spéculations théologiques et métaphysiques ; tandis que ceux qui essayaient de déterminer, par l’expérience, les simples processus de la nature, étaient bafoués comme des infidèles sans Dieu. Même de nos jours, il existe une vague croyance que la piété demande que l’on n’approche pas trop des mystères de la Vie, et que l’on ne profane pas le temple sacré en y apportant des instruments employés dans le laboratoire. Il est à remarquer que tous les écrivains qui se sentent outragés par tout essai d’expliquer les phénomènes moraux par les lois naturelles (que l’on confond toujours avec les lois mécaniques), veulent ramener tous les phénomènes aux lois morales, c’est-à-dire expliquer les faits les moins complexes par les plus complexes. Il leur semble absurde de partir des processus physiologiques pour arriver aux processus psychologiques ou sociologiques, en passant par des conditions de plus en plus complexes ; mais il leur semble rationnel d’expliquer les processus physiologiques par l’action régulative d’une âme ou d’un esprit.

L’objection que l’on fait au matérialisme à propos de ses « vues mécaniques » a de la valeur en tant qu’elle porte sur les différences fondamentales qui existent entre un organisme et une machine. Mais généralement l’objection a une signification de plus. Elle entend par « mécanique » tout essai de ramener les phénomènes à une série de successions dépendant de positions matérielles. C’est la généralisation de l’idée du mécanisme — à savoir la subordination des parties à une unité d’action coordonnée ; et en ce sens cette idée est applicable à un organisme comme à une machine à vapeur. Mais la terreur vague des conséquences que l’on suppose entraînées par l’hypothèse qui considère les phénomènes vitaux et mentaux comme dépendant d’arrangements matériels, est augmentée par ce qu’implique le terme mécanisme, dans ses applications aux machines ; et, par suite, les « vues mécaniques » en viennent à représenter ce qui substitue la causalité de successions rigoureuses déterminées par la structure et les connexions des organes, à cette spontanéité d’action que l’on considère comme la caractéristique de la vitalité, et qui est chère, parce qu’elle semble la seule base de la responsabilité morale. Cette répugnance à accepter une conception définie et régulière de la causalité, au lieu de la conception d’une spontanéité non réduc-