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bide du cerveau. L’âme ne peut être malade ; mais comme elle ne se manifeste que par le cerveau, un état morbide peut pervertir ses opérations ; quant à cet état morbide, il n’est pas nécessaire que ce soit une lésion anatomique visible ; il suffit d’une altération fonctionnelle, d’une excitabilité anormale, par exemple. Cette activité anormale du cerveau peut être accidentelle ou innée ; c’est-à-dire que les passions qui sont les objets de la folie peuvent être soulevées par un état pathologique du cerveau, ou appartenir au caractère naturel de l’individu.

Aussi M. Despine a étudié la folie chez le malade et chez l’homme en santé, c’est-à-dire le criminel, le fanatique, etc. Nous venons d’indiquer sommairement les idées de l’auteur sur la folie pathologique, étudions maintenant, à propos de la criminalité, la folie chez l’homme en santé. Le chapitre qui traite des criminels, de la tératologie morale, est certainement un des plus intéressants de l’ouvrage. Nous avons vu que la raison était un produit des facultés morales et intellectuelles et nous avons vu que la raison morale pouvait faire défaut chez quelques individus. De même qu’il y a des gens qui sont au point de vue physique vigoureux et bien portants, tandis que d’autres sont chétifs et mal bâtis, de même qu’au point de vue intellectuel, il y a des hommes de génie et des imbéciles, il peut y avoir aussi des privilégiés moralement, chez qui l’idée du crime cause une répulsion immédiate ou ne se produit même pas, et à côté de ceux-là d’autres chez qui les mauvais penchants se développent naturellement et sans opposition.

Si, comme l’admet M. Despine, le libre arbitre dépend de la moralité, quel sera le degré de responsabilité chez les individus privés de sens moral ? Chez eux l’absence du sens moral se reconnaît par l’absence du remords. M. le docteur Thompson, qui a fait sur ce point des recherches nombreuses, a constaté par exemple que sur près de 500 meurtriers, 3 au plus ont donné des signes de remords. Il y a donc là une anomalie psychique, et par suite un état anormal du cerveau. Si nous ne pouvons déterminer la nature de cet état du cerveau, ce n’est pas une raison pour en nier l’existence. Elle est prouvée par les rapports qui existent entre la criminalité et la folie.

Morel a montré que chez les enfants des aliénés, il y avait une prédisposition au crime. D’autre part on voit souvent les aliénés et les criminels naître d’une même souche. Morel donne entre autres l’exemple suivant, cité par M. Despine. Des cinq enfants auxquels ont donné le jour un père ivrogne et une mère aliénée, un s’est suicidé, deux ont subi une condamnation infamante, une fille était aliénée et une autre était demi-imbécile.

Souvent les criminels finissent leur carrière dans l’aliénation mentale. Ainsi « La Teroigne, la plus furibonde des tricoteuses de la Convention, est morte à la Salpétrière. »

Enfin la statistique a montré la fréquence plus grande de la folie chez les criminels que chez les autres hommes. Le docteur Bruce Thompson