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REVUE PHILOSOPHIQUE

III

ETHNOLOGIE

A. Giraud-Teulon. Les Origines de la Famille. (Questions sur les antécédents des Sociétés patriarcales), Genève et Paris, 1874.

Cet ouvrage est digne d’attention. Non-seulement les questions qu’on y agite offrent le plus vif intérêt par elles-mêmes ; mais l’auteur les aborde avec une méthode excellente, une science sûre, et un vif désir de voir clair, s’il se peut, dans la multitude des faits.

Recueillir des faits en aussi grand nombre que possible, les rapprocher entre eux, les interpréter les uns par les autres, afin d’en trouver le lien, c’est-à-dire la loi, telle est la méthode de M. Giraud-Teulon. Frappé de « la pauvreté du raisonnement pur », il n’attend la lumière que de l’induction, opérant prudemment sur les données d’une observation patiente et scrupuleuse. Cette méthode, non-seulement il la préconise ; mais il la suit. Ce n’est pas chose facile, comme on sait. Deux excès sont à éviter : d’une part le culte exclusif des faits, qui porte à les amasser sans critique, à les offrir sans ordre, à en être obsédé et comme étourdi, incapable par conséquent d’en tirer aucune lumière, d’en dégager aucune vérité générale : d’autre part, au contraire, l’amour trop vif des généralités et des théories, l’impatience à conclure, la tentation de bâtir sur des fondements insuffisants des hypothèses hâtives et aventureuses. Dans le premier cas, on ne fait œuvre ni de vrai savant, ni de philosophe ; dans le second, on est infidèle à la méthode expérimentale, on retombe dans les conceptions imaginaires, et on abandonne la proie pour l’ombre.

M. Giraud-Teulon a su, en somme, échapper à ces deux écueils : son ouvrage est très-plein, très-dense, et laisse néanmoins une impression assez nette. Il faut lui en savoir d’autant plus de gré qu’on n’en pourrait pas dire autant de beaucoup de livres écrits avant le sien sur la même matière ; quelques-uns de ceux qu’il cite et prend pour guides gagnent fort à être par lui tirés au clair.

Il ne suffit pas, en effet, de citer des milliers de témoignages et de faits curieux. Le principal est de les digérer. Que cherche-t-on dans les faits, sinon la loi qui en rend compte ? À défaut d’une explication définitive, il faut en proposer de vraisemblables, c’est-à-dire faire des hypothèses. Quelques mots de l’introduction de M. Giraud-Teulon nous avaient fait craindre un instant qu’il ne partageât la prévention étroite de certains esprits contre l’hypothèse ; mais heureusement il n’en est rien. Après avoir médit au passage de « l’idée », détrônée par « le fait », (ce qui pourrait donner à craindre que son livre ne fût un amas de faits sans idées), il montre bientôt, au contraire, un tour d’esprit vraiment philosophique, une préoccupation dominante de coordonner, de grouper, d’organiser les matériaux accumulés par ses recherches. — Ce qu’il