Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
ANALYSES. — GIRAUD-TEULON. Les origines de la Famille.

dant une période indéterminée, ont jadis occupé de vastes espaces du globe, et obéi à des nécessités, à des lois et à des idées profondément différentes de celles des populations historiques. Ce substratum du genre humain, anéanti ou recouvert par des races supérieures, a laissé en Asie, en Amérique et en Afrique, comme témoignage des civilisations primitives, des débris d’institutions domestiques et sociales, diamétralement opposées à celles de la famille patriarcale. Les lois organiques de la famille pendant cette ère archaïque, paraissent avoir généralement reposé sur le fait naturel de la maternité et non pas sur le principe de la puissance paternelle : la parenté, la généalogie des individus s’y réglaient d’après la naissance maternelle ; les droits de succession, de propriété, l’autorité dominicale appartenaient à la ligne féminine, et l’homme, en tant que mari ou père, se trouvait relégué dans une position subordonnée. »

Les témoignages abondent, prouvant que, de nos jours, chez certaines populations de l’Océanie, de l’Amérique et de l’Afrique, la famille repose, « non sur le principe de la descendance paternelle, mais sur celui de la naissance maternelle ; » c’est-à-dire que « le lien de consanguinité qui unit deux individus dépend exclusivement de leur généalogie utérine. » En Australie, et dans beaucoup d’îles du Pacifique, les indigènes ne reconnaissent aucun lien de parenté entre le père et le fils : ils ne considèrent comme leurs parents que les parents de leur mère et prennent à leur naissance le nom de cette dernière. Or, il en de même chez un très-grand nombre de peuplades barbares, sur les points du globe les plus opposés. Le fait est mentionné dans une multitude de récits de voyages ; des citations aussi précises que nombreuses ne laissent aucun doute à cet égard.

Mais, s’il en est ainsi aujourd’hui chez beaucoup de sauvages, est-on autorisé à croire que les nations civilisées aient autrefois connu un état analogue ? Voilà la question. Notre auteur n’hésite pas à la résoudre affirmativement.

C’est sur ce second point principalement que nous avons le droit de nous montrer exigeants en fait de preuves. Il n’est, en effet, nullement évident à priori, que les sauvages d’à présent nous offrent l’image de ce qu’ont été nos ancêtres. La question, on le sait, est encore pendante, de savoir si l’on est autorisé à les regarder simplement comme arrêtés à un degré inférieur de civilisation, degré par lequel nos races privilégiées ont passé elles-mêmes, ou s’ils ne seraient pas plutôt des êtres dégénérés, déchus d’un état moral et social plus élevé, ayant eu jadis pleine liberté de choisir entre deux voies, et s’étant, par leurs fautes, irrévocablement engagés dans la pire. Dans ce dernier cas, au lieu d’être de vivants témoignages du progrès que nous avons fait, ils seraient plutôt un avertissement de la décadence toujours menaçante et de l’avilissement où nous-mêmes pourrions tomber[1].

  1. Voir à ce sujet les articles de M. Renouvier sur la « Psychologie de l’homme primitif, » dans la Critique philosophique, 1875.