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adaptation des facultés aux conditions dont tous les hommes profiteraient, à préparer cette suprême harmonie de l’égoïsme et de la sympathie à laquelle M. Spencer consacre des pages pleines de délicatesse et d’élévation. Concevoir la possibilité de ce progrès, c’est être bien prêt de le désirer et d’y contribuer. Il ne s’agirait plus, comme d’après la morale utilitaire proprement dite, de se livrer à un calcul impraticable des plaisirs ou des peines qui suivront immédiatement nos actes. Ce serait assez d’avoir compris, et M. Spencer s’est efforcé de le prouver, que la constante pratique de la justice et de la charité, dans la mesure de nos lumières, doit amener à la longue cette adaptation et le bonheur le plus grand possible.

Il est aisé sans doute de prévoir des objections. On dira que le bonheur, tel qu’il est nécessaire de se le représenter pour se sentir déterminé à agir en vue de l’atteindre, sera peut-être le lot de l’humanité au bout d’un nombre inconnu de siècles, mais qu’il ne sera certainement pas le partage des générations actuelles, ni de celles qui viendront après et longtemps après. On en conclura que l’idée du devoir, dans son austérité, doit encore et pendant bien des années avoir le pas sur l’idée du bonheur ; que, loin d’insister sur cette opinion que le sentiment de l’obligation ira en s’affaiblissant avec le progrès, il importe de fortifier le plus possible ce sentiment. On reprochera à M. Spencer d’avoir retourné le vieil adage : Fais ce que dois, advienne que pourra, et trop considéré ce qui peut advenir pour savoir ce qu’il faut faire. C’est à la nature, et elle n’y manquera pas, de pourvoir à ce que les actes moraux aient nécessairement, tôt ou tard, d’heureuses conséquences, et s’occuper exclusivement de ces conséquences, c’est s’occuper seulement, pour employer une expression familière comme notre auteur les aime, de la doublure de la morale. Mais M. Spencer répondrait peut-être que nous pouvons tailler l’étoffe sur la doublure, que les plaisirs et les peines de tout ordre sont d’assez bons guides en mille occasions et assez impérieux pour ne les dédaigner en aucune circonstance, et qu’on s’expose, en prétendant mieux faire, à lâcher la proie pour l’ombre.

Nous serions volontiers de son avis et ne trouverions assurément rien à retrancher de son système ; à cette morale toutefois, nous voudrions, pour la compléter, et en quelques points la confirmer, ajouter une métaphysique des mœurs. Or nous en avons, même en France, d’assez bonnes et toutes faites.

A. Penjon.

Alfred Fuillée. — L’idée du droit en Allemagne, en Angleterre et en France. (Hachette, 1878. 1 vol in-18 j., 364 p.)

« Qui oserait se dire philosophe sans avoir à répondre sur le devoir ? » Il semble que nos philosophes ne soient plus aujourd’hui de l’avis de Cicéron. Le courant des esprits s’est détourné vers d’autres questions,