Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
analyses. — v. brochard. De l’erreur.

aperçue du sujet pensant et provoque fatalement, de sa part, une adhésion immédiate, qui est la certitude.

3o  Réciproquement, l’état de certitude suppose toujours un esprit que la vérité possède ; en d’autres termes, on ne peut jamais être certain du faux.

Ainsi le veut Platon ; le platonisme admet un entendement fatalement prédisposé à recevoir l’empreinte exacte des choses réelles. Et pourtant l’erreur existe, et l’erreur, Platon le dit lui-même, consiste à penser autre chose que ce qui est. Comment concilier deux assertions dont l’une détruit l’autre ?

Ainsi le veut Descartes. Selon Descartes, l’entendement est infaillible. L’erreur prend sa source dans l’usage inconsidéré du franc arbitre, faculté que l’auteur des Méditations investit du pouvoir d’affirmer ou de nier. Il serait plus exact de dire : d’affirmer l’erreur et de dépasser les limites de la connaissance distincte. Selon Descartes, l’homme ne peut pas ne pas considérer comme vrai ce qu’il conçoit clairement et distinctement.

Ainsi le veut Spinoza, logicien intrépide, et ajoutons-le, cartésien à outrance. C’est dans Descartes qu’il puise le germe de sa théorie de l’erreur, la seule conséquente aux postulats invoqués. Expliquer ainsi l’erreur, c’est la dénaturer peut-être : c’est pourtant le seul moyen de respecter les théories de la certitude en honneur chez les métaphysiciens dogmatiques. Si donc on veut expliquer l’erreur telle que l’expérience nous la donne, on acceptera la révolution opérée par Kant et l’on se placera résolument sur le terrain de la philosophie critique.

C’est là qu’en arrive M. Brochard après une longue et sérieuse enquête sur les théories de l’erreur dans Platon, Descartes, Spinoza. Nous ne pouvions analyser cette première partie du livre ; mais nous croyons qu’elle ^éclaire d’un jour nouveau des parties oubliées, trop oubliées peut-être, du platonicisme, du spinozisme et du cartésianisme.

Au lieu de rechercher si, oui ou non, la réalité pénètre l’entendement, chose absolument invérifiable, au lieu de prétendre définir la vérité en cherchant à établir entre le sujet intelligent et l’objet une conformité, manifestement chimérique, le mieux n’est-il pas d’interroger le sujet pensant et de savoir de lui ce qu’il appelle vérité ?

Est vraie, va nous répondre M. Brochard, toute synthèse d’une portée générale, non seulement affirmée par moi, mais affirmable par tous les hommes, quand cette synthèse s’impose à notre entendement, que le contraire de ce qu’elle établit est absolument inconcevable. Or il est des synthèses de ce genre : 1o  celles qui nous sont données à priori, expressions de la vérité logique ; 2o  celles qui nous sont données à posteriori, expressions de la vérité empirique.

S’il en est ainsi, Descartes se trompe, lui et la plupart des métaphysiciens dogmatiques, en ne reconnaissant que des vérités d’ordre logique ; Stuart Mill est dans l’erreur quand il prétend ramener toutes les propositions à des généralisations de l’expérience.