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Je ne puis entrer ici dans toutes les considérations générales que ce rêve est de nature à suggérer. J’insisterai seulement sur certains des traits « d’expérience personnelle » qui y sont impliqués. Et comme le fait de la reproduction de la gravure est au fond le même que celui de l’asplenium, c’est autour de ce dernier que je grouperai les questions auxquelles je chercherai à répondre.

Tout d’abord, on remarquera qu’une impression qui, vu sa nature, a dû être très faible, — ce que montre d’ailleurs toute cette histoire, — s’est ravivée dans le sommeil avec la plus grande netteté. Par voie de généralisation, on est autorisé à inférer que toute impression, même la plus insignifiante, laisse une trace inaltérable, indéfiniment susceptible de reparaître au jour. L’histoire et la science d’ailleurs sont pleines de faits qui, au besoin, justifieraient cette assertion. Aux jours de persécution, combien de fois n’a-t-on pas observé d’étranges ressouvenirs provoqués par l’exaltation religieuse ? Que ne raconte-t-on pas des convulsionnaires, des somnambules, des hystériques ? Voici donc une première question. Comment un événement aussi mince peut-il, au milieu du flux perpétuel des choses, être l’objet d’une conservation aussi parfaite ? Ce sera l’objet du présent article. J’y dirai en outre quelques mots de la cause du sommeil et de la transmission de la mémoire par voie de génération, parce que ces sujets se présenteront sur mon chemin.

De plus, le nom de l’asplenium fait partie de mon vocabulaire en tant que je rêve, mais non en tant que je veille. Si je le possède à mon réveil, c’est parce que je l’ai puisé dans mon rêve, et non parce que je l’ai connu autrefois. Je suis ainsi dans la situation de quelqu’un qui à la fois se souvient et ne se souvient pas ; qui, par exemple, mis face à face avec une personne, pense l’avoir déjà vue quelque part, mais ne sait plus où. Ce que je voudrais retrouver, c’est d’où est venu dans mon esprit ce nom de l’asplenium. Aussi, quand l’album tombe sous mes yeux, quelque chose se passe en moi comme si un voile se déchirait. Pourquoi est-ce cet album et non mon rêve qui me fait dire : Je me souviens ? Qu’est-ce donc, à proprement parler, que la reproduction du passé ?

Enfin, à cette question s’en rattache accessoirement une troi-

    paysages qui m’ont frappé dans mes voyages. J’avais ce souvenir au moins depuis deux ou trois ans quand je m’avisai de rechercher à quel endroit il s’appliquait ; je n’ai pu le.retrouver, et mes parents ont fini par me dire que je l’avais rêvé. Tout en admettant la possibilité du fait, je n’avouerais la chose que si j’avais pu explorer méthodiquement tous les pays où j’ai pu passer avant douze ans, ce qui serait très long, car mon père m’emmenait souvent en voyage ou en excursion ; bref, je suis resté dans le doute le plus complet. »