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ment de toute connexion avec les perceptions sapides. Les uns, comme les lombrics, certains annélides des rivages, les limaces, les termites, les blattes, refusaient de s’accommoder au nouveau régime ; ils continuaient à chercher l’humidité et l’obscurité dans les retraites où leurs descendants se réfugient encore aujourd’hui[1] ; les autres s’adaptaient aux conditions d’existence nouvelles, en acquérant de nouvelles ressources. L’une des plus avantageuses fut précisément la faculté de discerner les couleurs, car l’abondance croissante de la nourriture résultant de l’apparition des végétaux moins durs (conifères), et l’action de la lumière, avaient dû dès lors diversifier les téguments blanchâtres des animaux primitifs, et la distinction des couleurs servait puissamment à celle des espèces ennemies, des espèces comestibles et des espèces alliées. Elle offrait dans la lutte pour l’existence une chance sérieuse de survivre. Or quels sont les premiers insectes ? La géologie établit d’une manière certaine que jusqu’à l’époque jurassique les seuls qui soient nettement différenciés sont les névroptères, les orthoptères et les coléoptères. Ils sont dès l’époque carbonifère ce que nous les voyons aujourd’hui. Les hyménoptères, les hémiptères et les diptères n’apparaissent que dans les couches de l’époque jurassique, et les lépidoptères appartiennent à l’âge tertiaire. Admettons que les fleurs soient contemporaines des papillons et datent aussi de l’âge tertiaire ; est-il soutenable qu’avant ce moment nul insecte n’avait eu la perception distincte de la couleur ? « Notre faune actuelle, dit Heer, possède une étonnante variété de coléoptères qui par l’abondance de leurs formes constituent l’ordre le plus riche des insectes. La faune liasique ne le cède en rien à la nôtre sous ce rapport. » Quelles espèces trouvons-nous parmi les coléoptères du lias ? Précisément les plus beaux comme couleurs : au premier rang, les buprestes, d’un vert doré ; puis les élatères (taupins), dont une espèce existant encore aujourd’hui (Ampedus sanguineus) est jaune ou rouge ; puis les cantharides, avec leurs élytres vert bronzé, et enfin les carabides, plus petits que les nôtre-, mais que nous n’avons aucune raison de croire plus ternes. Quant aux névroptères, ils nous montrent dès ce temps de brillantes libellules, plus grandes que nos libellules actuelles ; et les hémiptères comptent les punaises et les cicadelles, dont quelques-unes sont de nos jours colorées de jaune ou de rouge rayé de noir. Est-il possible que ces insectes ne se soient pas discernés les uns des autres avec leurs couleurs propres ? Nous ne posons pas la question à M. Wallace, d’après lequel les perceptions des invertébrés diffè-

  1. Il est curieux d’observer que les larves de certains diptères, qui n’ont pas d’yeux, ont l’horreur de la lumière.