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insectes. Même sur le point des perroquets, la théorie n’est pas invulnérable ; plusieurs d’entre eux mangent les fruits verts ; quelques-uns, et ce sont, je crois, les plus beaux oiseaux de la création, les platycerques, sont donnés par les ornithologistes comme se nourrissant de graines. Il en est de même des mélopsittes et des nymphiques. Le « but » (purpose) des fruits en se revêtant de pulpes est, dit M. Allen, d’obtenir des oiseaux qu’ils les transportent au loin, et, pour éviter que la graine soit mangée, ils l’ont rendue aussi dure que possible. Or il se trouve que les oiseaux les mieux adaptés à ce genre de nourriture, les perroquets, ou dévorent les graines encore molles ou laiteuses, ou brisent sans peine avec leur bec robuste les noyaux les plus durs et les coquilles les plus résistantes. Du reste même les perroquets, qui se nourrissent de fruits, mangent aussi fréquemment des graines de toutes sortes. Et beaucoup d’oiseaux dont M. Allen cite le brillant plumage comme favorable à sa théorie ont un régime très mêlé, où les fruits ne figurent que pour une petite part.

Nous pourrions citer d’autre part des mangeurs de fruits qui ont gardé une livrée sombre. Nos grives et nos merles sont dans ce cas. En dehors des oiseaux, les mammifères ailés nous offrent un exemple assez frappant. Les plus grandes chauves-souris de l’Amérique du Sud, dit Wallace (Tropical nature, p. 120), sont frugivores (fruits eaters), comme les ptéropes des régions orientales. Mais, sans pousser jusqu’au bout notre démonstration sur tout ce sujet, nous en avons assez dit, ce semble, pour montrer que la généralisation de M. Allen n’est point d’une entière exactitude. D’ailleurs a-t-on songé que, si la double évolution des pulpes savoureuses et des plumages brillants a été corrélative et partant simultanée, elle s’est faite au moment où les oiseaux, qui commençaient à se distinguer des reptiles lacertens, avaient encore très probablement des dents aiguës, et où les noyaux ne pouvaient protéger les amandes ?

La théorie que nous examinons ne se trouve pas dans une position meilleure, en ce qui concerne les mammifères. Les plus brillants sont des carnassiers, tigres et panthères. Parmi les singes arboricoles ayant certaines parties du corps coloriées en bleu ou en rouge, on ne trouve aucun anthropoïde, ce qui ne rend pas très probable, on en conviendra, la transmission héréditaire d’un goût spécial pour certaines couleurs des singes à l’homme primitif. On se demande, de plus, pourquoi un si petit nombre de singes arboricoles montrent ces attributs chromatiques, alors que la grande majorité d’entre eux a le même régime alimentaire.