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analyses. — b. saint-hilaire. De la Métaphysique.

comme la nature, s’accroissent à l’infini par les travaux des générations. « Ainsi, conclut M. Barthélémy Saint-Hilaire, la métaphysique pourrait, sous la protection d’un des plus grands mathématiciens de tous les temps, revendiquer une place à côté de la poésie, et cette place pourrait paraître encore bien belle, quand on songe à ce qu’est Homère. » Mais cette conclusion inattendue ne semblerait peut-être pas tout à fait satisfaisante, et M. Barthélémy Saint-Hilaire se hâte d’affirmer que, « par l’importance de son objet, par la sûreté infaillible de sa méthode, par la grandeur des résultats obtenus, la philosophie première ne peut pas être assimilée à un poème épique. » Cependant il ajoute : « Le philosophe fonde sa science personnelle et ses convictions à peu près comme le poète chante, pour exprimer les émotions puissantes qui l’inspirent. » Gomme le poète, le philosophe pense pour lui, travaille dans son individualité solitaire ; l’influence de son œuvre « s’exerce comme celle de la poésie, en transportant les hommes d’enthousiasme et d’admiration, en les conduisant dans les sentiers austères et lumineux de la conscience et de la réflexion. Si elle ne charme pas, elle peut instruire et même persuader. Il y a une foi philosophique, comme il y a une foi religieuse. » La démonstration annoncée plus haut est achevée, et il résulte de ce qui vient d’être dit que les savants ont tort de traiter la métaphysique si mal, et de nier qu’elle soit une science.

Mais de nos jours, « parmi les philosophes, il en est qui, se trompant comme les savants, ont prétendu faire de la philosophie une science naturelle… Cette réforme devait réussir encore moins que celle de Kant. Notre siècle a eu le bon esprit de ne pas s’y laisser prendre. » Dans les sciences naturelles, le contrôle est toujours possible ; il ne l’est pas en philosophie. Les vérités que le philosophe découvre peuvent n’être pas vraies pour les autres hommes ; chaque conscience voit les choses sous son jour à elle. « Laquelle a vu le plus juste, c’est au genre humain de décider, comme il décide entre les religions en embrassant les unes et en repoussant les autres. » En d’autres termes, pourrait dire M. Barthélémy Saint-Hilaire, la philosophie est une œuvre individuelle, mais l’individu n’en est pas juge ; il travaille pour l’espèce, sous la juridiction du consentement universel, c’est-à-dire du sens commun.

Mais, quoiqu’un système philosophique soit une œuvre toute subjective, il ne s’ensuit pas qu’aux yeux de la philosophie l’homme soit la mesure de toutes choses. « Elle prétend au contraire qu’il existe une vérité éternelle et indéfectible, éclatante, infinie, dont l’homme, quelque faible qu’il soit, peut recueillir quelque rayon, dont la découverte successive, quoique toujours incomplète, est son privilège et sa gloire… » En un mot, l’homme, loin d’être la mesure des choses, serait bien plutôt mesuré par elles, c Sous la doctrine de Protagore et de Kant se cache un orgueil immense. » La métaphysique, telle que la comprend M. Barthélémy Saint-Hilaire, est modeste : « l’humilité n’est pas même une vertu pour elle, c’est une nécessité. »