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analyses. — b. saint-hilaire. De la Métaphysique.

rieure, destinée, comme l’autre, à nous faire saisir des réalités. Aristote ne double pas, comme il accuse son maître de le faire, le monde sensible ; il fait mieux : il l’étend au delà de ses limites et du champ de l’expérience jusqu’à une cause première, au degré près de nature pareille. Il n’explique pas le réel par l’idéal, l’être, par ce qui, tout en le supposant, le domine et relève en droit de soi seul, mais par de l’être encore, ce qui est proprement augmenter la difficulté par addition d’une hypothèse gratuite qui n’expliquerait rien, restant à expliquer.

Aristote mérite donc au plus haut point le reproche qu’il adresse à son maître de doubler la difficulté sans la résoudre. Au lieu de superposer au monde réel (nous nous sommes expliqués sur cette superposition ) un monde d’idées, il le prolonge en un monde de substances prétendues solides, comme ce qu’elles expliquent. Lequel des deux réalise des abstractions, le théoricien de l’idée, ou celui de la substance ; l’auteur de la dialectique, ou le père de la métaphysique logique ; le philosophe pour qui l’être vrai, raison de toute chose aux yeux de l’esprit, est l’être idéal, qualitatif, que la quantité ne réalise ni n’exprime, qu’on peut donc appeler un néant au point de vue sensible, ou celui pour qui la cause universelle est la réalité pleine, terme de l’évolution objective, l’achèvement par excellence, la suprême entéléchie ? Aristote a beau appeler cette cause la pensée de la pensée, il ne réussit pas à entrer par là dans l’ordre vraiment subjectif, c’est-à-dire moral, où Platon du premier coup s’installe et se renferme, car sa dialectique peut être définie une théorie non pas du monde et de son existence, mais de l’âme et de sa vie propre, dont la pensée même, en tant du moins qu’elle porte sur l’être objectif, n’est qu’un vêtement ou qu’un symbole. Aristote ne s’est pas élevé à ce point de vue supérieur : il n’a jamais dépassé, comme conception et comme théorie de l’être, celles de l’être concret (σύνολον), qui étaient, il l’affirme lui-même, le trait original de sa philosophie. C’était philosopher en savant, épris du réel et de l’expérience, en artiste aussi, plutôt qu’en philosophe, au sens strict, platonicien, du mot, c’est-à-dire en esprit émancipé des apparences et des formes, résolu à en chercher la raison dans un ordre différent. C’était donner une théorie métaphysique de la science positive, c’est-à-dire considérer l’objet de cette science, le concret, à son plus haut degré du moins, comme l’être vrai, absolu ; en un mot c’était faire de la philosophie une métaphysique.

De là vient qu’Aristote passe à la fois et avec raison pour le fondateur de l’empirisme et pour le père de la métaphysique, de celle qui dogmatise à la façon de la science et, subissant des notions dont elle devrait précisément essayer la critique, se croit capable aussi d’atteindre des existences ou de les démontrer. Il est surprenant au premier abord qu’un même philosophe puisse être invoqué comme l’ancêtre de la science expérimentale et comme celui de la métaphysi-