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En résumé, selon M. Matinée, le Dieu de Platon est celui de Socrate, non celui des Éléates. Il est la bonté suprême ; il est aussi la Providence. De plus, il crée de toute éternité un monde idéal, où chaque être a sa nature propre et immuable ; puis, trouvant en face de lui, et coéternel à lui, un principe d’agitation et de désordre, l’âme malfaisante, l’Autre, il crée une autre âme, l’âme du monde, dans laquelle un principe d’ordre et d’harmonie, le Même, également produit par le Démiurge, fait pénétrer l’intelligence. Une sorte de lutte s’engage entre le Même et l’Autre, qui marque bien le caractère dualiste de la théologie platonicienne. « Le mauvais principe n’est pas moins éternel que Dieu même, l’Autre n’a pas plus commencé d’être que le Démiurge. Demandez plutôt au Sophiste : il pénètre au-dessus du ciel jusque dans la région intelligible elle-même. Mais là, sous l’œil du maître, il réprime ce qu’il a de plus mauvais et se contente d’être une cause de limitation. Il distingue l’Être des êtres et ceux-ci les uns des autres. Au-dessous du ciel au contraire, dans cet empire de la nécessité où des éléments informes et sans nom sont agités sans cesse et secoués comme le grain dans la corbeille du vanneur, l’Autre règne d’abord en souverain absolu ; il entretient, il attise avec joie ce mouvement insensé. Mais un jour l’intelligence descend, le saisit, le contraint, et à l’agitation tumultueuse succède le mouvement réglé, et dans ce cercle immense tracé par l’intelligence elle-même tout s’agence avec ordre. Les rayons du monde idéal viennent éclairer cette région ténébreuse et y produire des images passagères des êtres immuables, qui récréent éternellement la pensée divine. »

On trouvera sans doute que M. Matinée attribue une importance excessive au symbolisme souvent à peu près impénétrable du Timée. En général, toute interprétation qui prétend faire de la doctrine platonicienne un système toujours d’accord avec lui-même court grand risque d’être plus ou moins inexacte. Outre qu’il n’est pas facile de savoir au juste quand Platon parle pour son propre compte, la pensée du maître a dû subir bien des variations pendant les quarante années de vie intellectuelle que représentent les dialogues. De plus, l’ignorance presque absolue où nous sommes de l’ordre chronologique de ceux-ci nous met dans l’impossibilité de suivre avec certitude les phases qu’a parcourues l’esprit du philosophe. Ajoutons que cet esprit répugne par nature au dogmatisme : il est rare que l’affirmation chez Platon ne soit pas tempérée et comme affaiblie par un peut-être. Il n’est ni un sophiste ni un sceptique ; mais il se plaît à considérer toutes les faces d’un problème, à poser des hypothèses contraires pour en dérouler les conséquences logiques, les pousser à l’absurde ou les détruire l’une par l’autre : on sait que plusieurs dialogues manquent de conclusion et sont de purs jeux de dialectique. Nous serions presque tenté de croire que tel est en particulier le cas du Parménide.

Bien que l’ouvrage de M. Matinée ait pour titre Platon et Plotin, il n’est question de ce dernier qu’incidemment. L’auteur s’attache à mon-