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espinas. — le sens de la couleur

dénomination des couleurs, en raison de la pureté et de la fixité de leurs teintes. C’est ainsi que le rouge, employé tout d’abord pour les étoffes comme pour les tatouages, a été nommé le premier. Les teintures bleues et vertes ont été trouvées plus tardivement. Le rouge artificiel, étant plus anciennement connu, a été employé comme décoration par les chefs ; il a figuré dans toutes les cérémonies. Il est devenu ainsi la couleur par excellence, et le discernement de ses nuances a donné lieu à un vocabulaire très riche. Nous avons encore de la peine aujourd’hui à discerner en paroles le vert du bleu, quand ils ne sont pas francs, comme ils le sont dans le feuillage et le ciel ou dans la boîte à couleur du peintre : en dehors de ces cas de divergence extrême, notre langage est à cet égard d’une extrême indigence, bien que ni le peintre ni le teinturier ne s’y trompent pratiquement. Les Birmans, que M. Magnus cite, d’après le témoignage de Bastian, comme dépourvus de mots pour désigner le vert, nuancent fort habilement le vert et le bleu dans leurs objets d’art, et il en est de même des Écossais des hautes terres, qui n’ont qu’un adjectif pour exprimer la couleur du ciel et celle des feuilles. Mais, même pour le rouge, nous sommes fort embarrassés quand nous voulons préciser certaines nuances autrement que par le nom d’un objet type ; nous disons que le géranium de la nuance la plus vive est rouge : nous le disons aussi de la brique, et cependant quelle différence de l’un à l’autre ! Le langage est donc par rapport aux couleurs en général, et par rapport aux couleurs du côté sombre du spectre en particulier, bien en retard sur la pratique, et on peut reconnaître, distinguer pratiquement une couleur bien avant de savoir la dénommer par un terme abstrait.

Il faut avouer aussi que les différentes couleurs ont une valeur esthétique et poétique bien différente. Pour plusieurs raisons, ce sont les bandes centrales du spectre, le bleu et le vert, qui plaisent le moins à l’œil, tandis qu’il est charmé par les bandes les plus proches des rayons caloriques. D’abord le rouge et le jaune sont rares dans la nature, et les parties de la rétine qui les perçoivent sont moins fréquemment excitées, par conséquent répondent plus énergiquement aux stimulus qui viennent à les mettre en jeu. Le vert devient-il rare, comme pour l’habitant sédentaire de nos grandes villes ou pour le Perse, qui vit dans un pays pauvre en feuillages, cette couleur revêt pour ces yeux désaccoutumés un charme inattendu ; il est adopté comme motif de décoration de préférence au rouge. En second lieu, le rouge et le jaune sont sensiblement inférieurs aux autres couleurs comme intensité lumineuse. Sur ce point, MM. Hugo Magnus et Glastone ont pleinement raison. Enfin les fruits rouges et