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les esprits, c’est bien moins la raison, à peu près égale chez tous, que la mémoire et l’imagination ; or se souvenir et imaginer, c’est associer des idées et des images. Un trait d’esprit, une métaphore brillante, une vue de génie, une découverte dans les sciences sont toujours, en dernière analyse, des rapprochements originaux entre des idées que tout le monde n’a pas l’habitude de lier entre elles. Quand Newton, à propos d’un fait vulgaire, devine la loi de la gravitation universelle, il aperçoit une ressemblance entre des objets en apparence fort éloignés et que personne avant lui n’avait eu l’idée de rapprocher. Et, si l’on peut comparer les petites choses aux grandes, il se passe dans l’esprit de tout homme quelque chose d’analogue, lorsqu’on cherche la solution du plus simple problème : il s’agit de trouver les idées qui se conviennent. Mais, pour apercevoir des ressemblances, la première condition est que les objets semblables soient associés. Or il peut sembler paradoxal de dire que l’entendement ne découvre rien, et que par lui-même il est incapable de rapprocher les idées semblables : c’est pourtant ce qui résulte de l’analyse qui précède, et ce qu’il est facile de vérifier.

À vrai dire, travailler ou méditer, ce n’est pas inventer des idées ; on n’invente jamais. Il faut attendre qu’elles viennent ; tout ce que peuvent la volonté et la réflexion, c’est de nous mettre dans les meilleures conditions possibles pour que les idées apparaissent si elles doivent apparaître ; les forcer à comparaître, leur faire violence, lutter contre Minerve, c’est une chimère. La plus longue patience s’y userait, et c’est se moquer que d’appeler le génie une longue patience. Les œuvres de quelque valeur se font en leur auteur plutôt qu’il ne les fait. Les idées renaissent, se rapprochent dans l’esprit, non pas suivant notre volonté, mais suivant les expériences antérieures, suivant les dispositions naturelles, ce qu’on appelle la vivacité d’esprit, le coup d’œil, l’instinct, probablement aussi suivant les dispositions corporelles. Il y a dans ce travail quelque chose d’impersonnel ; et c’est pourquoi l’inspiration, la verve, l’improvisation, l’intuition ont été souvent attribuées à des causes extérieures à l’individu. On voit une confirmation de cette vérité dans les stériles efforts que font tant de gens pour avoir de l’esprit. Il n’y a pas de règle pour cela ; c’est déjà beaucoup d’en avoir, comme Rousseau, dans l’escalier. Il est très vrai que l’esprit court les rues ; mais il est encore plus vrai que c’est inutilement qu’on court après lui. C’est ainsi encore que les poétiques n’ont jamais formé de poètes, ni l’esthétique d’artistes ; la logique n’apprend pas même à raisonner juste, loin d’apprendre à trouver des idées. À qui n’est-il pas arrivé, après avoir cherché longtemps la solution d’une difficulté, de la