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v. brochard. — de la loi de similarité

trouver tout à coup, presque sans y penser, comme en se jouant, même en dormant ? Ce ne sont pas seulement les rimes qu’on trouve, comme Boileau, au détour d’un sentier. Il y a aussi des gens qui ne comprennent les jeux de mots que plusieurs semaines après qu’ils ont été entendus ; c’est que les deux idées entre lesquelles il fallait apercevoir un rapport ne se sont pas rencontrées dans une intelligence peu agile ; le va-et-vient des idées qui se pressent, se heurtent, se repoussent, n’était pas assez actif. Les canaux par où passent les esprits animaux, aurait dit Descartes, ne se sont pas reliés les uns aux autres ; l’action nerveuse, diraient les physiologistes d’aujourd’hui, n’a pas rayonné d’une cellule aux autres. Il en est ainsi ; notre fière raison doit attendre le hon plaisir de cette capricieuse qu’on nomme l’imagination. Par elle-même, elle ne peut rien. Ses formes sont vides, tant que l’expérience, passée ou présente, n’y met pas un contenu.

Il va de soi qu’il ne faudrait pas trop médire de la raison et pousser les choses à l’extrême. Sans elle, tout le reste serait inutile, et on a vu souvent, faute d’une raison attentive et réfléchie, les plus beaux dons naturels demeurer stériles. Parmi les rapprochements innombrables qui se présentent à l’esprit, il faut faire un choix ; il faut en essayer et en rejeter beaucoup, si rapide que paraisse le travail mental, avant de trouver ceux qui satisfont. Il reste ainsi une part assez grande et une tâche assez lourde à la volonté et à l’effort. D’ailleurs il resterait à examiner, ce qui n’est pas ici notre sujet, si la volonté et la raison ne peuvent pas, par un travail antérieur, donner à cette sorte de mécanisme de l’association des idées des directions et des habitudes qui préparent et expliquent les rencontres spontanées qui se produisent plus tard. Toujours est-il cependant que le principe de l’invention, la source de l’originalité, se trouve non dans la raison, mais dans les opérations inférieures qu’on traite parfois avec un dédain immérité. On a dit assez souvent que la raison est le privilège de l’homme, et qu’elle le met au-dessus des animaux ; nous venons de montrer en quoi cette assertion est exacte. Mais ce privilège, si grand qu’il soit, a été exagéré ; c’est faire trop d’honneur à la raison que de lui attribuer toutes les œuvres qu’elle signe. Il est curieux de remarquer que si l’homme est capable de tant de découvertes, de glorieuses inventions, d’inspirations sublimes, il le doit surtout à la partie de son âme qui est immédiatement soumise au mécanisme corporel et par où il ressemble le plus à l’animal.

Victor Brochard.