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jaunes sont bien plus nombreux que les autres, et la perception de ces couleurs a dû par sa fréquente répétition déterminer chez les arboricoles nos ancêtres le développement de masses nerveuses correspondantes bien plus volumineuses. En fait, les poètes — M. G. Allen l’a établi par la plus curieuse statistique — se servent bien plus souvent des épithètes se rapportant au rouge et au jaune que des épithètes se rapportant aux autres couleurs. À se servir de ce critérium, dont ses adversaires lui ont fourni le modèle, notre auteur trouve que, d’après les poètes modernes, le rouge et le jaune sont cinq fois plus poétiques que le vert et le bleu. Les poètes de tout temps, Homère comme les autres, ont donc dû se servir plus souvent du premier couple de couleurs que du second.

Si l’on tient compte en outre du vague que comporte la poésie dans ses désignations de la couleur des objets, vague qui résulte de la nature des choses, car à vrai dire y a-t-il précisément une couleur fixe, unique, que l’on doive attribuer à la mer, au ciel, aux champs, à l’homme, au cheval en général ? — si, dis-je, on tient compte de cet à-peu-près inhérent à toute qualification poétique, on trouve dans les observations qui précèdent tout ce qui est nécessaire pour expliquer les lacunes du vocabulaire homérique et biblique en ce qui concerne la couleur. Quant à établir par les poèmes de la race hébraïque ou hellénique que les premiers hommes ne connaissaient pas les couleurs que nous connaissons, c’est ce qu’aucun linguiste ne peut faire, parce que toutes les couleurs essentielles sont suffisamment désignées dans ces mêmes poèmes.

Homère a pour désigner le rouge deux mots principaux, eruthros et phoinios ; e premier est le terme abstrait ; le second, dérivé de phoinix, est le nom d’une teinture couleur de sang : il sert à désigner les objets artificiellement recouverts de rouge. Le mot porphureos a un usage et un sens analogues. On doit rapprocher rhodoeis, oinôps, calliparêos, tirés de métaphores très claires. Xanthos a nettement la signification de jaune ; il est appliqué à la chevelure (blonde), au cheval (bai), au torrent chargé de boues argileuses. L’épithète de doré suffit en maintes circonstances, comme chez les poètes actuels, à éveiller la même idée avec une nuance d’éclat et de richesse en plus. Le bleu, le bleu violet sont rendus par huakinthinos et ioeidês, ou ioéis. C’est, suivant Homère, la couleur de la violette ; c’est aussi celle de la mer à de certains jours. Dans Y Odyssée, on trouve iodnephes (assombri de violet, teint en bleu) appliqué à la laine. Il est probable que la teinture bleue commençait seulement alors à faire son apparition. Quant au vert, il n’y a qu’un mot, chlôros, pour le désigner, et il est vrai que le poète homérique ne revient pas souvent