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des éclipses, admettrons-nous qu’elle fut également connue de Thalès ?

Le fait est très improbable ; d’une part, il devait y avoir là un secret que les adeptes des doctrines astrologiques ne communiquaient guère aux profanes, et rien ne paraît indiquer que Thalès ait été initié à ces doctrines. D’un autre côté, la connaissance de la période chaldéenne permet, comme nous l’avons vu, d’annoncer avec assurance les éclipses de lune, et non celles de soleil ; les témoignages anciens devraient donc attribuer à Thalès la prédiction des premières et non pas seulement celle des secondes. Enfin, le sage Milésien ne paraît nullement avoir transmis à ses successeurs le secret de sa méthode.

Reste donc à supposer qu’un astrologue rencontré par Thalès dans ses voyages lui ait prédit un certain nombre d’éclipsés avec une précision plus ou moins grande[1], et que ce dernier, après avoir partiellement vérifié l’exactitude de ces prédictions, se soit hasardé heureusement à en prendre une à son compte. Cette hypothèse nous semble parfaitement admissible et nous permet d’accorder au récit d’Hérodote un degré de vraisemblance suffisant. Nous clorons donc ici cette discussion.

III

Les données que nous possédons sur les connaissances mathématiques de Thalès sont exclusivement relatives à la géométrie. Mais, avant d’en aborder la critique, il convient de faire une remarque importante pour l’histoire de l’arithmétique des anciens.

Le système classique de numération écrite des Grecs ne paraît pas antérieur au ve siècle avant Jésus-Christ. Celui qu’ils employaient au temps de Thalès était fondé sur le principe additif et analogue à celui des Romains. C’est le même système qu’on retrouve chez les Phéniciens, dans les inscriptions cunéiformes et les hiéroglyphes. Il avait déjà été abandonné par les Égyptiens dans leurs écritures, hiératique et démotique. Mais la réforme que les Grecs adoptèrent plus tard et l’emploi qu’ils donnèrent aux lettres de leur alphabet présentent un caractère tout à fait spécial et constituent un témoignage irrécusable de leur originalité scientifique.

  1. D’après Hérodote, Thalès aurait simplement fixé l’année de l’éclipse. S’il y en avait plusieurs de possibles cette année-là, il ne s’était en somme guère aventuré ; mais la grande chance, c’est que l’éclipsé ait été totale.