Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/330

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même revivre à un moment donné et reproduire dans l’objet une vibration nouvelle. Peut-être, après réflexion, l’instrument le plus délicat, réceptacle et moteur tout ensemble, auquel on pourrait comparer le cerveau humain, serait le phonographe récemment inventé par Edison. Depuis quelque temps déjà nous pensions à indiquer cette comparaison possible, quand nous avons trouvé dans le dernier article de M. Delbœuf sur la mémoire cette phrase jetée en passant qui nous confirme dans notre intention : « L’âme est un cahier de feuilles phonographiques. »

Quand on parle devant le phonographe, les vibrations de la voix se transmettent à un style qui creuse sur une plaque de métal des lignes correspondantes au son émis, des sillons inégaux, plus ou moins profonds suivant la nature des sons. C’est probablement d’une manière analogue que sont tracées sans cesse dans les cellules du cerveau d’invisibles lignes, qui forment les lits des courants nerveux. Quand, après un certain temps, le courant vient à rencontrer l’un de ces lits tout faits, où il a déjà passé, il s’y engage de nouveau. Alors les cellules vibrent comme elles ont vibré une première fois, et à cette vibration similaire correspond psychologiquement une sensation ou une pensée qui est analogue à la sensation ou à la pensée oubliée.

Ce serait alors exactement le phénomène qui se produit dans le phonographe lorsque, sous l’action du style parcourant les traces creusées précédemment par lui-même, la petite plaque de cuivre se met à reproduire les vibrations qu’elle a déjà exécutées : ces vibrations redeviennent pour nous une voix, des paroles, des airs, des mélodies. Si la plaque phonographique avait conscience d’elle-même, elle pourrait dire, quand on lui fait reproduire un air, qu’elle se souvient de cet air ; et ce qui nous paraît l’effet d’un mécanisme assez simple lui semblerait peut-être une faculté merveilleuse, la mémoire.

Ajoutons qu’elle distinguerait les airs nouveaux de ceux qu’elle a déjà dits, les sensations fraîches des simples souvenirs. Les premières impressions, en effet, se creusent avec effort un lit dans le métal ou dans le cerveau ; elles rencontrent plus de résistance et ont conséquemment besoin de déployer plus de force : quand elles passent, elles font tout vibrer plus profondément. Au contraire, si le style, au lieu de se frayer sur la plaque une voie nouvelle, suit des voies déjà tracées, il le fera avec plus de facilité : il glissera sans appuyer. On a dit : la pente du souvenir, la pente de la rêverie ; suivre un souvenir, en effet, c’est se laisser doucement aller comme le long d’une