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noncés de Socrate étaient le sentiment du juste et de l’injuste, le respect pour les lois, la bienveillance, le sens moral, sentiments très élevés, mais qui ne font point des extatiques. L’accès de Socrate ne peut être qu’un accès de somnambulisme ; alors tout s’explique. Cette opinion que nous avions émise en 1868 dans notre Psychologie naturelle devient pour nous une certitude devant le passage suivant extrait d’Aulu-Gelle : « Parmi les travaux et les exercices volontaires par lesquels Socrate cherchait à s’aguerrir contre la souffrance, voici, dit-on, une des épreuves singulières qu’il s’imposa maintes fois : on prétend que souvent il restait debout dans la même attitude, la nuit, le jour, d’un soleil à l’autre, sans remuer les paupières, immobile à la même place, les regards dirigés vers le même point, plongé dans des pensées profondes, comme isolé de son corps par la méditation. Phavorinus, parlant de la fermeté d’âme de ce sage, nous disait un jour en parlant de ce fait : Souvent Socrate restait dans la même position d’un soleil à l’autre, immobile, plus droit qu’un tronc d’arbre[1]. » L’immobilité absolue du tronc, l’absence de clignotement des paupières, ce qui suppose nécessairement la paralysie de la vue et l’anesthésie oculaire, la fixité du regard, sont des phénomènes qui ne peuvent s’expliquer que par un état de somnambulisme compliqué en même temps de catalepsie. Ces accès ne manifestaient donc point, ainsi qu’on l’a supposé, une volonté ferme de subir des épreuves douloureuses. La volonté la plus ferme ne peut lutter contre les besoins impérieux de l’organisme. Le clignotement des paupières se fait par une action réflexe immaîtrisable. Le besoin organique de repos, de changement de position, de mouvement, est plus puissant, à un moment donné, que la volonté la plus énergique.

Les méditations que l’on attribuait à Socrate somnambule étaient donc supposées pour expliquer les phénomènes qu’il présentait. Ainsi, non seulement Socrate a eu des hallucinations de l’ouïe qui lui faisaient entendre ses propres pensées, mais encore il a été sujet à des accès de somnambulisme cataleptique. Il présente ainsi un exemple de plus du génie accompagné de phénomènes névrosiques, c’est-à-dire un nouvel exemple d’une suractivité cérébrale puissante réagissant sur tout le système nerveux en y déterminant des phénomènes anormaux, circonstance que M. Moreau (de Tours) a si bien mise en relief par de nombreux exemples, auxquels nous pouvons joindre celui de Socrate.

Lélut, qui s’est occupé dans son remarquable ouvrage : Du Démon de Socrate, du phénomène sur lequel nous fondons notre croyance aux accès de somnambulisme de ce sage, considère ce phénomène comme étant de l’extase en état conscient. Citons ses paroles (p. 97) : « Socrate eût pu demeurer toute sa vie un homme singulier ou extraordinaire, si toutefois, depuis l’enfance, travaillé par son génie, il n’eût été disposé à prendre les inspirations de sa conscience pour la voix d’un

  1. Les Nuits attiques, t. I, p. 109.