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ment au milieu d’une promenade ou d’une conversation avec ses amis, puis de retourner sur ses pas ou de continuer sa marche, ou de reprendre le fil de son discours, quelquefois sans donner d’explication à sa conduite, mais le plus souvent en donnant pour raison qu’il venait d’entendre le Dieu. »

Il est évident que Lélut a considéré comme étant identiques deux états fort différents. L’accès somnambulique de Socrate ne ressemble point aux cas où ce sage, conversant avec ses disciples, s’arrêtait brusquement pour écouter ses propres pensées dans une hallucination. Il importe de ne pas considérer, comme étant de même nature, ces deux états, car rien ne ressemble moins au somnambulisme que le second ; par conséquent, de ce que celui-ci n’est réellement pas du somnambulisme, on ne peut pas en inférer que le premier n’en soit point. Socrate n’a-t-il eu qu’un seul accès de somnambulisme, ou en a-t-il eu plusieurs ? Les documents que nous possédons ne sont pas assez précis pour décider la chose, mais ils le sont suffisamment pour permettre d’affirmer que la prétendue extase qu’il a eue pendant le siège de Potidée n’a pu être qu’un accès de somnambulisme. Cependant d’après Aulu-Gelle il semblerait que Socrate aurait eu plusieurs de ces accès.

Pour prouver l’hallucination de Socrate, Lélut s’est appuyé sur d’excellentes raisons qui étaient suffisantes. Mais il est allé trop loin en voulant faire passer Socrate pour aliéné. Afin de corroborer cette assertion, il évoque deux faits qui, si on les rencontre dans la démence, n’appartiennent pas exclusivement à cet état. Socrate, dit-il, de même que certains déments, marchait nu-pieds sur la glace et fixait le soleil. Socrate avait pour principe de tout supporter, de s’habituer à tout. Il endurait la faim, les privations, les fatigues, le froid, etc., avec constance et sévérité. Pour marcher nu-pieds sur la glace, en état de santé, il suffit d’en avoir la volonté, en passant par-dessus une souffrance qui n’est pas excessive, surtout quand on a l’habitude de marcher les pieds nus, ce qui était le cas de Socrate. Si les déments subissent cette épreuve sans sourciller, ils le doivent à un certain degré d’anesthésie plantaire. Quant à fixer le soleil sans être aveuglé et sans avoir une congestion cérébrale, il faut absolument que la rétine soit paralysée. Or si la paralysie des sens s’observe parfois à divers degrés chez les déments, elle peut exister complète chez les somnambules pendant leurs accès. La dilatation et l’immobilité de la pupille, ainsi que le regard amaurotique qui en est le résultat, sont chez eux des preuves incontestables de la paralysie de la rétine et par conséquent de la suspension momentanée de la vue oculaire.

P. Despine.