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analyses. — wake. The Evolution of Morality.

faut la sanction religieuse. Les vertus actives n’apparaissent à l’homme revêtues du caractère obligatoire que s’il est persuadé de conquérir par elles soit la faveur des dieux, soit une condition meilleure dans l’autre vie. M. Wake pense que la consécration première des sentiments altruistes, comme unique et infaillible moyen de purification et de délivrance, fut l’œuvre de Gautàma Bouddha, dont le rôle, parmi les promoteurs du progrès moral, ne saurait être exagéré. C’est par lui que la bienveillance à l’égard de toute créature sensible, que la charité universelle, prit place au premier rang des vertus. Et pourtant l’altruisme, si plein de mansuétude et d’apparente abnégation, que prêche Cakya-Mouni, est bien loin d’être vraiment désintéressé ; dans son principe, sinon dans ses effets, il est tout égoïste ; le disciple de Bouddha n’aime, au fond, que son salut ; sa charité n’a d’autre mobile que de s’affranchir des misères du renaître et de conquérir la profonde paix du néant.

Nous voudrions pouvoir suivre M. Wake dans les intéressants chapitres où il apprécie la moralité des races supérieures : les Péruviens et les Mexicains, tels qu’ils existaient antérieurement à la conquête de l’Amérique, les Chinois et les Japonais, les Hébreux, les Romains, les Grecs, les Eygptiens. On ne voit pas trop ce qui justifie un pareil ordre, et pourquoi les Romains figurent avant les Grecs, les Égyptiens après les uns et les autres. Quoi qu’il en soit, c’est de l’antiquité classique que M. Wake fait dater le développement rationnel et systématique de la morale, et il observe judicieusement que, « si les vertus passives (négatives) ont été, dans l’histoire du genre humain, les premières qui aient été reconnues, cependant elles sont les dernières à recevoir leur expression rationnelle. »

On a vu toute l’importance que M. Wake attribue à bon droit aux idées religieuses dans l’évolution de la moralité. Quand ces idées, développées, précisées, agrandies, se sont constituées en systèmes, leur rôle est plus considérable encore. M. Wake ne pouvait donc manquer d’insister longuement sur des doctrines telles que le brahmanisme, le bouddhisme, le mazdéisme et le mithraïsme qui en est issu. Il dégage les dogmes qui leur sont communs, à savoir que l’âme humaine est une émanation de la substance universelle, la vie présente une déchéance, le corps une souillure, la nécessité de renaître, la punition des méchants, et la moralité le seul moyen pour l’individu d’échapper au tourment des existences successives et de remonter à son principe. Il signale l’avènement, avec le mazdéisme et le mithraïsme, d’un nouvel idéal moral, celui de la pureté, et marque, avec une précision parfois pénétrante, les rapports de ces différentes religions entre elles et avec le christianisme.

Le christianisme trouve en M. Wake un juge indépendant. Il lui rend pleine justice et met dans un beau jour le rôle immense de son fondateur dans l’histoire de la moralité. Nul n’a plus fût que Jésus pour la diffusion des sentiments altruistes ; soulager, consoler ceux qui souffrent,